
Voyage en absurdie
Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier, vice-prĂ©sident du GBO
publié le 23/09/2021
Ă€ l’issue de la seconde Ă©preuve de l’examen d’entrĂ©e en mĂ©decine, un total de 1.100 jeunes ont pour 2021 une attestation de rĂ©ussite en poche, sur plus de 6.000 participants. Divers constats et rĂ©flexions questionnent la pertinence de cette limitation initiale des aspirants, du reste engluĂ©e dans des tensions communautaires. N’y a-t-il pas des aspects du paysage mĂ©dical belge – et de la formation y affĂ©rente – Ă optimiser avant de perpĂ©tuer l’épreuve, en tout cas Ă l’identique ?
Début septembre, un examen était une nouvelle fois organisé pour sélectionner les futurs carabins, ceux qui auront la chance, l’honneur et la gloire d’exercer notre beau métier. Toute cette procédure pourrait paraitre parfaitement raisonnable à un habitant de la planète Mars. Par contre, pour qui a les pieds sur Terre et un tant soit peu d’esprit critique, il est clair que l’on trouve derrière ce modus operandi sélectif une accumulation de questions préalables auxquelles personne n’est à même de fournir une réponse adéquate.
Trop de bras, vraiment ?
La première de ces interrogations est de savoir s’il y a réellement trop de médecins, et plus précisément trop de médecins pratiquant la médecine. En approfondissant cet aspect, il serait bon de mesurer quels sont les besoins dans les différentes spécialités, et en particulier en médecine générale.
Deuxième questionnement : quelle est la définition d’un bon médecin ? Existe-t-il des critères permettant de cerner l’excellence d’un praticien ? On peut supposer qu’il est possible d’évaluer l’aptitude d’un pair à poser des actes techniques compliqués. Il devient déjà plus hasardeux de jauger la capacité à formuler un diagnostic correct. Et, évidemment, il est très compliqué d’estimer les compétences relationnelles, dont relèvent les capacités d’empathie et l’intelligence émotionnelle grâce auxquelles le médecin parviendra à persuader un patient de suivre son traitement contre le diabète ou l’hypertension, réussira à rendre un alcoolique abstinent ou encore à convaincre un sceptique de se faire vacciner.
Une troisième question dans ce débat est la qualité de la formation. Comment mesure-t-on celle-ci de façon scientifiquement solide ? Les médecins consciencieux doivent, tout au long de leur carrière, évaluer la pertinence des traitements qu’ils initient à l’aune d’études et de publications rigoureuses et comparatives. Existe-t-il un mécanisme qui tend à cette évaluation, dans notre pays ou ailleurs ?
La conquĂŞte de l’Est
Revenons-en au premier item. Il y aurait trop de médecins. Le GBO a été invité à participer à une commission de planification pour la Fédération Wallonie-Bruxelles. Nous espérons que nous pourrons nous baser sur des données objectives, en particulier en médecine générale. Constat manifeste : la nature ayant horreur du vide, les hôpitaux se peuplent de médecins provenant des pays d’Europe de l’Est. Ils déforcent les effectifs médicaux de leur propre nation, laquelle offre un cadre de pratique moins favorable, pour venir exercer chez nous dans des conditions suboptimales.
Les déserts médicaux qui sont en train d’affleurer en médecine générale vont sans doute être de plus en plus convoités par ces confrères non natifs. Or, la médecine se pratique dans un contexte culturel qu’il faut pouvoir appréhender. Il n’est pas si sûr que nous serions aussi performants dans un pays aux mœurs et coutumes différentes… Mais, non sans un brin de cynisme, on peut faire remarquer que nos gouvernements économisent le coût de la formation de ces renforts.
« Nécessaire » exploitation ?
Par ailleurs, il est assez étonnant d’arriver à la conclusion qu’il y aurait trop de médecins en hôpital. Pourquoi, dès lors, peut-on observer que la plupart des assistants en médecine spécialisée prestent 80 heures par semaine ? A moins que l’on ne se pose pas la bonne question. Qui devrait être : la survie de hôpitaux serait-elle hypothéquée si les médecins en formation étaient rétribués de manière correcte et gratifiés d’horaires décents ?
Par ailleurs, notre système hospitalier ne repose-t-il pas trop sur la multiplication des actes que ces mêmes assistants sont priés d’exécuter ? Les universités ne pèsent-elles pas trop dans le débat, soucieuses d’obtenir le quota de médecins « en formation » indispensable à la bonne marche de leurs services ?
Quant aux généralistes, force est de reconnaitre qu’il y a 40 ans, ils évoluaient dans un contexte de pléthore. Ceux d’entre eux qui n’ont pas jeté l’éponge peuvent témoigner des revenus fort modestes avec lesquels ils devaient survivre. Cette génération qui a tiré le diable par la queue est maintenant vieillissante, mais constitue encore le gros des troupes en médecine générale. Neuf pour cent des généralistes en activité ont passé l’âge de la retraite légale et, parfois, hésitent à rendre leur tablier de peur de laisser leurs patients sans alternative.
Toute cette situation s’est envenimĂ©e d’une dimension communautaire, les Flamands ayant respectĂ© les quotas – ce que n’ont pas fait les francophones – dans une compĂ©tence demeurĂ©e fĂ©dĂ©rale. En plus de cela, les universitĂ©s bruxelloise et wallonnes font office d’aimants auprès de nos voisins français, ce qui dĂ©sĂ©quilibre encore le paysage de la formation de notre beau mais absurde pays.
De l’estomac de la moule
Tous, nous gardons en mémoire des apprentissages dont nous nous sommes toujours demandé à quoi diable ils pouvaient bien servir. Je pense avoir personnellement étudié trois fois la photosynthèse, mais je n’ai pas encore eu à m’occuper d’un trouble qui y soit lié de près ou de loin. Il y a aussi fort à parier que l’estomac de la moule dont je pourrais encore vous crayonner le schéma, avec sa tige coalescente, n’est pas d’un intérêt fondamental pour le quotidien du médecin.
Plus sérieusement, je pouvais me targuer de grandes facilités en chimie et en physique et j’expliquais donc les notions à mes condisciples. Je me souviens même des grands principes et de certaines équations fondamentales de ces matières. Cela peut servir dans certaines spécialités, les principes de l’optique pour un ophtalmologue, la radioactivité pour un médecin nucléaire etc. Mais, fondamentalement, procéder à une sélection de (futurs) médecins en accordant une place prédominante à ces sciences dites dures me semble dénué d’intérêt. Et, en tout cas, s’il y en a un, qu’on me le démontre. Sinon, c’est comme dans la chanson de Jacques Brel : « ils ont la chance, d’apprendre dès leur enfance, tout ce qui ne leur servira pas ».
Vulnérabilité assumée
A noter également que cette fameuse épreuve inclut des questions à choix multiples sur l’éthique qui ont laissé pantois les médecins confirmés ayant mis la main sur quelques échantillons. Par contre, il n’est pas rare que les médecins généralistes assurant bénévolement la formation de stagiaires découvrent que des sujets déterminants dans l’exercice de la profession n’ont fait l’objet que d’une évocation furtive au fil du cursus universitaire, et ce alors qu’il faut parfois des années pour maitriser des domaines tels que la démence, les assuétudes et le suivi correct d’une maladie chronique.
Enfin, qu’est-ce qu’un bon médecin ? Comment l’évaluer ? C’est à mon sens un défi que d’obtenir une réponse parfaitement satisfaisante. En tout cas, je crois qu’un médecin qui est capable de se rendre compte qu’il fera des erreurs et vivra sa carrière en étant conscient de sa vulnérabilité sera beaucoup moins à craindre que le toubib qui ne pourra pas assumer sa fragilité. Celui-ci risque d’être dangereux pour la patientèle, et parfois invivable pour son entourage.
Je ne suis pas sûr que des réformes tenant compte de remarques de cette nature verront le jour mais, comme le disait Guillaume d’Orange, « point n’est besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer ».
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Dr Lawrence Cuvelier