Vous reprendrez bien une larme d’Amoxiclav ?

Dr Lawrence CuvelierCe « Grain à moudre », publié le 09/04/2025, est un billet d’humeur issu des réflexions du Dr Lawrence Cuvelier, président du GBO/Cartel, co-écrit avec le Dr Axel Hoffman. Il témoigne des opinions personnelles de leurs auteurs (et n’engagent qu’eux), sans nécessairement refléter la position du GBO/Cartel.

Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D’un politicien inconnu, et que j’aime, et qui m’aime
Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait le même
Ni tout à fait un autre, et m’aime et me comprend.

Comme pour Verlaine, un sentiment étrange et déroutant m’envahit chaque fois que certains politiciens œuvrent pour nous soulager. Les autorités ont été complices de la pénurie en médecine générale mais ne nous tracassons pas, elles ne cessent de trouver des idées géniales « pour nous soulager ». Hier, ils ont inventé de faire vacciner en pharmacie, aujourd’hui, dans certaines provinces, ils proposent des tests streptocoque A en pharmacie. Je suppose que l’étape suivante sera la délivrance automatique d’antibiotique en cas de test positif, histoire de stimuler les résistances aux antibiotiques. Toutes ces initiatives, méprisantes pour les médecins généralistes, sont évidemment prises sans aucune concertation avec eux. Pas le temps de se concerter avec nous ou pur dédain ? À moins que l’on s’imagine faire des économies avec ce type de démarche ? Ou encore que l’on croie diminuer ainsi notre charge de travail ?

Un patient qui se présente en pharmacie avec ce type de symptôme en ressortira avec une panoplie de produits qui lui auront coûté bien plus cher que s’il s’était rendu chez le généraliste qui lui aura recommandé de prendre du miel..

La première ligne de soin, mise en concurrence ou concertation ?

Sachez, beaux messieurs, que vacciner et examiner une gorge ne font pas partie des tâches qui épuisent les MG. Un des facteurs majeurs de stress dans les professions de santé réside plutôt dans l’accroissement des exigences du patient qui a perdu toute considération envers les soignants en devenant un consommateur de services fasciné par les avancées technologiques. C’est la raison majeure de l’usage inapproprié des services d’urgences : “je vais leur dire de faire un scanner et une prise de sang « sur tout », comme ça on verra ce que j’ai”. Imaginons le cas banal d’une infection des voies respiratoires supérieures, qui ne nécessite généralement aucun traitement, même symptomatique dont on sait qu’il ne diminue en rien l’évolution de la maladie. Un patient qui se présente en pharmacie avec ce type de symptôme en ressortira avec une panoplie de produits qui lui auront coûté bien plus cher que s’il s’était rendu chez le généraliste qui lui aura recommandé de prendre du miel. Bien sûr, il existe des médecins qui prescrivent de façon inappropriée, mais ils constituent une minorité. (À la Commission d’agrément, les témoignages que nous recevons de la part d’assistant à ce sujet sont éloquents, et pourtant les mesures pour bloquer les maitres de stage incompétents et exploiteurs ne parviennent pas à être prises, mais ceci est une autre histoire). Alors, est-ce en raison de quelques pratiques douteuses qu’on instaure des mesures humiliantes et paternalistes ? “Vous prescrivez trop d’antibiotiques, pas de souci, nous envoyons les pharmaciens à votre rescousse !” Depuis le Covid, nous recevons régulièrement des patients qui ont effectué le test avant de nous consulter. Une pharyngite peut être une angine de Vincent ou le début d’une mononucléose. Même si ce sont des raretés, une visite chez le médecin peut être utile. En France, les frottis sont obligatoires et, malgré cela, la résistance aux antibiotiques a concerné 130.000 infections en 2016 (étude 2019).

Le GBO est demandeur d’une collaboration étroite avec les autres acteurs de la première ligne. Nous voulons promouvoir des assises de tous les acteurs pour une meilleure efficience dans les soins. Il y a certainement des domaines où l’intervention d’un médecin est inutile, mais les initiatives à ce sujet doivent s’organiser de façon harmonieuse, avec des informations partagées. Au lieu de cela, on met en place des systèmes concurrentiels, ce qui n’est ni efficace, ni économique. Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant ….