VITE FAIT, BIEN FAIT ?
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Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier, Vice-PrĂ©sident du GBO/Cartel, publiĂ© le 31/03/2023.
Calibrer la consultation, ce n’est pas pointer un calibre sur la consultation.
Lors d’une émission de télévision, une patiente rapportait qu’un médecin avait limité son temps de consultation à 10 minutes par patient et ne prenait en charge qu’une seule pathologie à la fois. On peut critiquer ce choix au nom de principes abstraits mais il est plus intéressant de le comprendre : est-ce la technique de ce médecin pour faire face aux besoins d’une patientèle débordante, ou pour rester efficace, ou pour tenir le coup dans des conditions de travail devenues trop pénibles ? Ou les trois à la fois … Dans la région de Madrid, la médecine d’État contraint les médecins à consacrer 6 minutes par patient. Cette “rentabilité temporelle” imposée est-elle compatible avec une médecine de qualité ?
Ă” temps, suspends ton vol !
Notre expérience de généraliste montre combien certains diagnostics, souvent importants, ne suivent pas un trajet rectiligne d’un point A à un point B mais empruntent un parcours hasardeux sillonné de chemins de traverse. On peut travailler vite en faisant de la bonne médecine, mais faire de la vitesse une obligation peut provoquer pas mal de dégâts. Le patient qui ne veut pas de consultation, “juste un sirop docteur”, peut nous faire gagner du temps mais on s’en mordra les doigts si on s’arrête à sa demande et qu’on passe à côté du fait qu’il tousse depuis des mois et a perdu dix kilos. Faut-il, pour une question d’horaire, risquer de renvoyer au silence cet autre patient qui tout à trac lâche un lourd secret caché depuis 40 ans ? Bien sûr, dans la salle d’attente, les persifleurs vous traiteront de “Docteur retard” mais ceux qui sont à cheval sur l’horaire n’ont en général pas beaucoup d’obligations alors que les personnes très occupées font plutôt preuve de bienveillance. Et ce n’est pas perdre du temps que de prendre le temps de poser des questions personnelles. Il est souvent fécond d’écouter les gens parler de leur enfance, des conditions d’éducation, des relations avec les parents et avec la fratrie, révélant parfois des traumatismes anciens aux répercussions psychologiques mais aussi physiques. De même, s’enquérir sur le métier au moment de rédiger un certificat livre beaucoup d’informations pertinentes. Des questions indirectes, posées avec bonhomie, livrent davantage d’informations pertinentes qu’un interrogatoire brutal. Interroger sur le sommeil, l’appétit et les loisirs dévoile une dépression de manière aussi valable que le score d’Hamilton. À l’inverse, j’ai été orienté vers le diagnostic d’un diabète type 1 en me rendant compte que les troubles du sommeil étaient liés à une nycturie pathologique et non à une dépression comme le pensait le patient.
Le temps consacré à une consultation n’est en rien une mesure de la qualité, mais contraindre à la vitesse peut entraîner des conséquences néfastes, voire catastrophiques pour certains patients, qu’il s’agisse d’erreurs ou de retards diagnostics.
Le temps consacrĂ© Ă une consultation n’est en rien une mesure de la qualitĂ©, mais contraindre Ă la vitesse peut entraĂ®ner des consĂ©quences nĂ©fastes, voire catastrophiques pour certains patients, qu’il s’agisse d’erreurs ou de retards diagnostics. MalgrĂ© cela, rĂ©gulièrement des “experts” prĂ©tendent calibrer le temps de consultation ou imposer un quota de patients par mĂ©decin, ou encore formater les processus diagnostics par une aide au dĂ©broussaillage. On ne peut Ă©videmment pas rejeter ces idĂ©es en bloc et sans nuances, des idĂ©es par ailleurs prĂ©sentĂ©es comme solutions Ă un problème prĂ©visible et gĂ©rĂ© en dĂ©pit du bon sens depuis au moins deux dĂ©cennies : la pĂ©nurie de mĂ©decins et en particulier celle des gĂ©nĂ©ralistes. Dans les annĂ©es 80, Ă l’école de santĂ© publique, le Professeur Deliège prĂ©voyait le pic de la plĂ©thore pour l’annĂ©e 1993 et prĂ©disait qu’il serait suivi d’une pĂ©nurie. Ces prĂ©dictions se sont avĂ©rĂ©es exactes mais, fin des annĂ©es 90, au moment oĂą la pĂ©nurie se faisait dĂ©jĂ sentir, un numĂ©rus clausus fut instaurĂ©. Aujourd’hui encore, il en est qui prĂ©tendent que la pĂ©nurie n’existe pas et, personnellement, j’ai rarement participĂ© Ă des dĂ©bats sur ce sujet, tant la charge Ă©motive des interlocuteurs est forte et impermĂ©able aux arguments rationnels. Hier, une ancienne patiente m’a demandĂ© de l’aider par tĂ©lĂ©phone car elle ne trouvait aucun mĂ©decin disponible en Brabant wallon…
Cris d’orfraie
Le Ministre de la Santé a organisé une vaste concertation pour chercher d’autres manières de pratiquer qui permettraient un meilleur confort dans l’organisation des soins. Parmi les préoccupations, la qualité de soin, l’amélioration de la collaboration avec les autres acteurs de la santé mais aussi une meilleure qualité de vie des médecins. Plan ambitieux ! Mais, comme disait le docteur Bernard Vercruysse (ancien Président de feu le Conseil Fédéral des Cercles), si tous les médecins s’accordent sur la nécessité de réformer le système de santé, les mêmes poussent des cris d’orfraie à la moindre réforme. Il est facile de mettre en cause les autorités mais, pour cette concertation, 2500 médecins généralistes ont été consultés et le rapport de leurs avis a été remis. Pour l’heure, les modalités budgétaires vont être discutées. À ce stade, alors que le plan n’a pas encore vu le début d’une réalisation concrète, certains prétendent déjà que c’est truqué. À ceux-là nous répondons que l’esprit critique ne consiste pas à dire non systématiquement et à l’aveugle mais à analyser, évaluer et amender les propositions, avant, le cas échéant, de les rejeter en tout ou en partie. Ne vaut-il pas mieux être vigilant et constructif ?