VERTIGE ET DÉLIRES

Dr Lawrence Cuvelier.
Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier,
vice-président du GBO/Cartel, publié le 29/09/2023.

Cela pourrait passer pour un bêtisier, ce n’est pourtant qu’un banal passage aux urgences

Depuis qu’il a commencé un médicament contre le cholestérol il a eu des vertiges et mal dans les muscles, mais tout a disparu en deux jours quand il l’a arrêté. Il me demande s’il doit prendre un autre traitement pour son cholestérol. Bigre, un anticholestérolémiant pour un gaillard de 38 ans, je suppose qu’il doit avoir de solides antécédents personnels ou familiaux. Je l’interroge et ne trouve rien de menaçant. Il me raconte alors une histoire à mille lieues de ce à quoi je m’attendais. Il y a quelques semaines il s’est senti très mal, une angoisse sans raison, l’impression de mourir, c’était la première fois que ça lui arrivait et il s’est rué sur les urgences. Là, le médecin lui a trouvé une tension à 170 et trop de cholestérol dans sa prise de sang. Il a directement prescrit un médicament contre le cholestérol, un MAPA (monitoring ambulatoire de la pression artérielle sur 24 heures) et une recherche de phéochromocytome.

À ce récit, je suis pris d’une envie irrépressible d’expliquer au patient que son problème, c’est peut-être son cholestérol, nous verrons cela, mais c’est surtout le système absurde dans lequel il a été piégé. En mon for intérieur défile le cortège d’erreurs dont il a été victime. Sauf exceptions, la prise de tension dans un service d’urgence n’a pas de signification et certainement pas chez un patient qui présente des signes d’angoisse. Établir un diagnostic d’hypertension en une mesure lors d’un contact unique et dans ces circonstances relève du délire. Qu’un médecin de passage se lance dans des examens complémentaires n’apporte rien au patient car le suivi n’est pas assuré et représente une dépense parfaitement inutile pour la sécurité sociale. Quant à la mesure du cholestérol « en urgence », nous aurions simplement pu en rire si elle n’avait pas conduit à une prescription basée sur rien du tout puisque les tables-score qui établissent le risque d’accident cardiaque n’existent pas pour des patients aussi jeunes.

Notre syndicat plaide pour le meilleur soin au meilleur endroit et déplore la concurrence malsaine entre lignes de soins qui amène beaucoup de cas de médecine générale à être gérés par les urgences, sans recul ni feed-back. N’avons-nous pas tous avantage à faire prioritairement ce que nous faisons de mieux, quoi qu’en disent les démagogues à la vue étroite ?

Mais, me pliant à cette forme d’omerta qu’on nomme parfois confraternité, je me contente d’expliquer au patient que sa tension élevée pouvait aussi s’expliquer par son angoisse du moment ou par le phénomène de la blouse blanche, et que nous allons privilégier des méthodes plus sûres pour établir le diagnostic, une automesure de sa tension dans des conditions strictes (le matin et le soir à deux reprises pendant 6 jours) et un MAPA. Je le rassure sur le mot terrifiant de recherche de phéochromocytome qui ne se prescrit normalement que dans les hypertensions réfractaires. À mi-mots, je lui fais comprendre que si vraiment il a de l’hypertension, l’accompagnement d’une maladie chronique de ce genre a plus de sens s’il est initié et suivi par le médecin traitant.

En passant, cette histoire me rappelait une publication récente prouvant que les interventions agressives pour traitement d’hypertension chez les patients hospitalisés entraînent un risque accru de transfert en soins intensifs.

Buffet à volonté

Il s’agit bien de soins inappropriés, la tension mesurée est la conséquence et non la cause des malaises du patient. Cet exemple caricatural en dit long. On peut espérer qu’il s’agit des œuvres d’un jeune carabin qui n’a pas digéré ses cours et non celles d’un senior qui n’a pas de temps à perdre. Il n’empêche que le système de financement des soins hospitaliers à tout à gagner à ces absurdités. Les services d’urgences ressemblent toujours davantage à des restaurants « buffet à volonté » ou à des parcs d’attractions où tout est gratuit. Dans ce genre d’excès, nous sommes tous perdants, la société qui doit faire face à ce gaspillage et les patients qui sont exposés à des soins inappropriés quand ce n’est pas à des complications désastreuses. Pire, il n’y a pas de véritable remise en question du système car nos universités aiment inculquer aux étudiants une sorte de mythe de l’invincibilité, passant sous silence qu’un travail majeur du médecin est de gérer l’incertitude.

Il existe un cercle vertueux : nous pouvons offrir des soins de qualité grâce à la prospérité de notre pays, et en contrepartie les soins de qualité ont un impact positif sur l’économie. Pour cela, la liberté thérapeutique est précieuse, mais cette liberté ne commande pas de favoriser les structures de soins et de remboursement inadéquates. Il n’est pas de démocratie sans liberté, mais il n’y a pas de liberté sans responsabilité et les médecins sont partie prenante de ces responsabilités. Le gaspillage des deniers publics a toujours des conséquences et freine le développement de projets innovants.

Alors, oui, notre syndicat plaide pour le meilleur soin au meilleur endroit et déplore la concurrence malsaine entre lignes de soins qui amène beaucoup de cas de médecine générale à être gérés par les urgences, sans recul ni feedback. N’avons-nous pas tous avantage à faire prioritairement ce que nous faisons de mieux, quoi qu’en disent les démagogues à la vue étroite ?