UNE DRÔLE DE GUERRE

Dr Lawrence Cuvelier.
Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier,
vice-président du GBO/Cartel, publié le 15/09/2023.

En verlan, narco ça donne … politique de guerre à la drogue ?

Il a cinquante ans, des problèmes psychologiques et la nuque rongée par une arthrose sévère qui lui fait mal jusque dans le bras droit. Mais ses gros problèmes sont ailleurs : il est marocain et a un passé d’usager de drogues, consommation et petite délinquance associée. Grâce à la loi Gol (1984) qui permettait de chasser les indésirables, il s’est retrouvé, jeune adulte, expédié au bled, sans connaître un mot d’arabe et seul, toute sa famille résidant en Belgique. Autant si pas plus que la drogue, cet exil forcé, cette double peine si bien décrite par Didier Van Cauwelaert dans « Un aller simple » (prix Goncourt 94) l’a détruit. Aujourd’hui, il est suivi par un centre de santé mentale et par moi. C’est un homme intelligent, serviable, totalement abstinent, ni stupéfiants, ni alcool, ni tranquillisants. Sa vie a été gâchée pour des convictions idéologiques qui ont démontré depuis des années leur totale inefficacité. J’aimerais tellement lui annoncer de bonnes nouvelles, lui dire qu’on a trouvé un travail pour lui, adapté à ses aptitudes physiques limitées, où il pourra rendre service à d’autres personnes…

La guerre contre la drogue décrétée par le président Nixon dans les années 70 est perdue depuis longtemps. Considérer les simples consommateurs comme de dangereux criminels est une méprise tragique qui brise des vies et coûte un prix fou à la société, car nos prisons sont remplies de personnes poursuivies pour dépendance à des substances illicites. Un axe majeur de la réhabilitation passe par l’obtention d’un travail, mais les chances d’en trouver un en sortant de prison sont plus minces que de gagner à l’Euromillion. On condamne ces patients soit à dépendre des aides sociales, soit à replonger dans la délinquance. Heureusement, les assistantes sociales du ministère de la justice comprennent bien l’enjeu d’un suivi médical.

Considérer les simples consommateurs comme de dangereux criminels est une méprise tragique qui brise des vies et coûte un prix fou à la société.

Navrant, regrettable, funeste, inopportun, pitoyable …. et contre-productif !

Il est navrant, regrettable, funeste, inopportun, pitoyable que des hommes politiques continuent à prôner l’aggravation des peines pour les consommateurs de drogues. Dans certains pays, on va jusqu’à les tuer. C’est d’autant plus idiot que, plus les sanctions sont sévères, plus le prix des substances augmentent et ce sont les gros trafiquants qui en tirent bénéfices sans courir de risque. Évidemment, quand on est président de parti et qu’on a l’obsession de faire le buzz, rien de plus facile que de se draper dans une pseudo-éthique de la responsabilité et de l’autonomie pour s’en prendre à une population marginalisée, les toxicomanes ou les chômeurs par exemple, et tant pis si ces pitreries matamoresques ne servent que les intérêts des trafiquants.
C’est un jeu économique : dans un pays comme le nôtre où il existe des moyens médicaux efficaces pour soigner les assuétudes, le prix des substances illégales baisse pour concurrencer l’offre de soin. Quand j’étais au Vietnam, le prix d’expédition de marchandises à Anvers était de 55 $ alors qu’il était de 100 $ pour Paris. Les réseaux mafieux ne souffrent pas des obstacles qu’on met à leur trafic car ils possèdent des moyens considérables qui leur permettent de maîtriser le jeu de l’offre et de la demande. Ils ne craignent même pas les prises douanières qui représentent au grand maximum 10 % d’un trafic qui offre des bénéfices de plus de 1000 %. Il est évidemment impossible de contrôler les millions de tonnes de marchandises qui transitent par Rotterdam et Anvers. Il faut se rendre à l’évidence, depuis Tintin et le crabe aux pinces d’or, ce ne sont ni les Dupont et Dupond ni leurs descendants actuels qui ont mis fin au trafic de drogue !

Où faire pousser l’herbe ?

En tant que médecin, je soigne beaucoup de toxicomanes. A certains moments j’arrive à compter jusqu’à 35 % de ces patients qui ont un travail régulier comme seule source de revenus. La recette de ce résultat est simple : je les considère comme des malades au même titre que les alcooliques et les joueurs. Bien sûr, il faut souvent des années d’écoute et de dialogue pour qu’un vrai travail thérapeutique commence. Au décours d’une conversation comme il y en a eu des dizaines et des dizaines, tout sort brusquement : l’enfer vécu dans l’enfance et dans l’adolescence, la torture morale et physique, l’abandon, le viol, l’inceste. Alors celui qui me parle n’est plus un gibier de potence, il est à nouveau un être humain et je me mets à penser au proverbe chinois qui enseigne : si vous voulez faire des économies, faites pousser l’herbe dans les prisons et non pas dans les écoles.

PS : le proverbe chinois parle évidemment de l’herbe et pas de la beuh.