UNE BONNE CAUSE N’EST JAMAIS PERDUE
Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier, Vice-Président du GBO/Cartel, publié le 07/07/2023.
Mourir pour des idées d’accord, chantait Georges Brassens. Il s’empressait d’ajouter : mais de mort lente. Au GBO/Cartel, on préfère vivre pour nos idées.
Nous sommes en l’an 616 ab urbe condita (les romains comptaient le temps à partir de la fondation de Rome, ils ne savaient pas qu’ils étaient en 137 avant la naissance du Christ). Issu d’une famille fortunée, les Scipion, Tiberius Gracchus est tribun de la plèbe, c’est-à-dire un élu chargé de protéger le peuple face au pouvoir des consuls. Tiberius s’indigne contre l’accroissement des grandes fortunes et de leurs gigantesques exploitations agricoles employant de nombreux esclaves qui écrasent les petits exploitants incapables de rivaliser avec elles. Il propose une réforme agraire pour limiter la taille des domaines à 120 hectares moyennant contrepartie financière mais le Sénat romain qui représente les riches la bloque en ne libérant pas les fonds nécessaires. Coup de théâtre, le Roi Attale III de Pergame lègue sa fortune au peuple romain et la réforme se réalise, à la grande colère des nantis. Lors des élections suivantes, des trublions excités par le cousin Publius Scipion envahissent le Capitole (celui de Rome) et tuent Tiberius. Dix ans plus tard, son frère Caius Gracchus, auteur de nombreuses lois distributives, s’insurge contre la spéculation sur le blé et veut en assurer la disponibilité pour tous. Sa réforme aboutit mais, ô surprise, il périt de la même manière que son frère. Deux siècles plus tard, Juvénal marquera son mépris des mesures sociales par la formule célèbre panem et circences, du pain et des jeux, qui stigmatise la mise au pas du peuple, dépolitisé car nourri et amusé par les puissants (on est loin de véritables « lois sociales »).
Nous sommes en faveur d’un libre choix du prestataire, mais pas au détriment de la qualité des soins et au prix de dépenses insensées.
En me plongeant dans l’histoire des Gracchus, je n’ai pu m’empêcher de penser à la difficulté de faire passer des réformes simples et justes dans ma profession. Récemment, j’ai vu un patient qui, pour une simple lombalgie, a subi en très peu de temps un scanner et des examens en médecine interne, en orthopédie et en neurologie. Ce monsieur, originaire de l’Est de l’Europe, tombe presque chaque mois en coma éthylique, il présente des troubles du rythme et une coronaropathie et absorbe un cocktail invraisemblable de médicament sans aucune réconciliation thérapeutique. Il n’a pas la moindre considération pour la médecine générale et mon rôle consiste uniquement à prescrire des médicaments. On ne peut s’empêcher de penser qu’un tel tableau de soins reste possible que parce que les soins sont dispensés à l’acte et que les puissants lobbies hospitaliers n’ont aucun intérêt à ce que la prise en charge des patients soit globalisée et échelonnée. Pourtant, nombreux sont les spécialistes prêts à s’engager dans des soins collaboratifs mais ce n’est pas facile car ils sont alors considérés comme des traîtres à leurs institutions. Dans le même hôpital, il y a une vingtaine d’années, j’avais adressé une patiente particulièrement plaintive à un chirurgien pour une cure d’ongle incarné – je n’osais pas intervenir moi-même. Elle s’est trouvée renvoyée de spécialiste en spécialiste et, à chacun, elle servait une plainte sans aucun rapport avec le motif de la consultation. Ce n’est qu’après un an d’errance hospitalière qu’un interniste a compris que cette consommation massive de soins équivalait à essayer de remplir un tonneau des Danaïdes pour une patiente qui était simplement profondément malheureuse.
Un gentleman ne pourrait-il s’intéresser qu’à des causes perdues ?
Selon Jorge Luis Borges, un gentleman ne pourrait s’intéresser qu’à des causes perdues. Pas d’accord ! Les frères Gracchus payèrent leurs réformes de leurs vies mais celles-ci aboutirent et restèrent en vigueur jusqu’à la fin de la république. Leur souci était le bien commun et pour cet idéal ils se heurtèrent à la mauvaise foi et à la violence qu’ils durent affronter courageusement. Ils n’étaient pourtant pas issus du peuple et auraient pu se contenter de jouir confortablement de leurs avantages. La comparaison peut paraître grandiloquente mais le parallèle est pertinent : les médecins du Cartel ne demandent qu’une seule chose, des meilleurs soins au meilleur endroit, et ils défendront ce juste projet malgré leur poids politique qui peut paraître bien léger face aux intérêts des grandes structures. Nous sommes en faveur d’un libre choix du prestataire, mais pas au détriment de la qualité des soins et au prix de dépenses insensées.
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Dr Lawrence Cuvelier