Un peu de bienveillance, je vous prie !

Dr Lawrence Cuvelier

Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier, vice-prĂ©sident du GBO
publié le 26/11/2021

Dans les hautes sphères de la Santé, nombre de responsables ont pris la mesure des difficultés des généralistes, exacerbées par la pandémie, et s’évertuent à trouver des solutions. Sans qu’il soit question de malveillance organisée, ou d’hostilité déclarée, il y a par contre, à certains endroits, un manque manifeste de considération envers notre profession. Nous sommes vus par certains comme des obstacles à une bonne gestion des soins de santé. Aaaaah… Tout serait tellement plus simple, doivent-ils se dire, si nous nous laissions faire comme des moutons.

Comme toutes les professions de santĂ©, les gĂ©nĂ©ralistes ont trinquĂ© durant la pandĂ©mie. Pour la plupart, ils se sont donnĂ©s sans compter. Certains ont craquĂ©, beaucoup ont Ă©tĂ© malades, certains sont morts du covid. Cet automne, la crise reprend ses quartiers, et on peut anticiper la pression que notre profession subira – et subit d’ailleurs dĂ©jĂ . Dans ces circonstances, certaines dĂ©clarations ou mesures envisagĂ©es dans les administrations de la SantĂ© sont malvenues, ne trahissant ni gratitude ni empathie pour nos efforts et notre surcharge.

Les MG pourraient ne plus rien avoir à dire quant à l’organisation des gardes. Quelle malveillance, alors que les cercles ont depuis des années orchestré la continuité des soins avec un grand sens de l’intérêt public !
Voici quelques faits récents… A vous de juger :
  • DĂ©claration d’un haut responsable de l’Inami : les syndicats mĂ©dicaux ne seraient pas reprĂ©sentatifs. Rappelons qu’en termes de votes, le GBO sĂ©duit, dans les rangs des MG francophones et germanophones, la moitiĂ© des gĂ©nĂ©ralistes, et compte 35% de cotisants. Quelle outrecuidance, vu cette assise, d’affirmer que nous ne reprĂ©sentons pas le terrain ! Un bĂ©mol Ă  notre indignation : la dĂ©claration a peut-ĂŞtre Ă©tĂ© vĂ©cue comme irritante … ou mal comprise parce que sortie de son contexte. Peut-ĂŞtre n’Ă©tait-ce qu’une maladresse de communication. Mais elle met le doigt sur une situation difficile Ă  nier : les Ă©missaires dĂ©pĂŞchĂ©s en concertation par les syndicats ne sont pas reprĂ©sentatifs de la pyramide des âges et de la ventilation par sexe de la profession.
  • Concernant les gardes, le scĂ©nario exposĂ© lors de la mĂ©dico-mut de fin octobre veut que les gĂ©nĂ©ralistes, reprĂ©sentĂ©s par les cercles, n’aient plus rien Ă  dire quant Ă  l’organisation des celles-ci. Quelle malveillance ! Les cercles ont depuis des annĂ©es organisĂ© la continuitĂ© des soins avec un grand sens de l’intĂ©rĂŞt public, vigoureusement soutenus par le GBO.
    Il s’agissait de garantir Ă  la population en quĂŞte de soins non programmĂ©s une solution crĂ©dible de mĂ©decine gĂ©nĂ©rale, sans que le MG ne soit corvĂ©able 24 heures sur 24. Cela s’est rapidement transformĂ© en annexe de bas Ă©tage des salles d’urgence, puisqu’on a liĂ© la performance des postes de garde Ă  la baisse de frĂ©quentation de celles-ci par la population – baisse qui en soi est un enjeu respectable mais fondamentalement diffĂ©rent de la continuitĂ© des soins. Dans certains cas, on assiste Ă  une attrition de la motivation des gĂ©nĂ©ralistes, qui ne se sentent pas la vocation de jouer les services express de la santĂ©. Ce n’est pas en les dĂ©possĂ©dant de la possibilitĂ© de donner leur avis qu’on va inflĂ©chir la tendance.
    Pourquoi vouloir tout décider sans eux ? Quel moyen juridique les autorités auront-elles pour contraindre les MG à assurer quelque chose qui n’a plus rien à voir avec la continuité des soins ?
  • Nous nous sommes familiarisĂ©s avec l’application de prescription Ă©lectronique Recip-e, un projet dans lequel les syndicats mĂ©dicaux ont Ă©tĂ© et sont toujours impliquĂ©s, tout comme les reprĂ©sentants des pharmaciens. Certes, le système prĂ©sente encore des dĂ©fauts mais, globalement, il donne satisfaction Ă  ses usagers. Quelle n’a pas Ă©tĂ© notre consternation d’apprendre que l’Inami concocte dĂ©sormais un nouveau dispositif qui remplacerait Recip-e, avec l’immense « mĂ©rite » de… pouvoir contrĂ´ler nos prescriptions de renvoi – donc pas mĂ©dicamenteuses – dans le but d’amĂ©liorer la qualitĂ© des soins !? Quand nous avons voulu protester, le reprĂ©sentant de l’Inami s’est montrĂ© acerbe et arrogant.
    Le GBO est sans doute le syndicat qui, depuis le plus longtemps, prône une utilisation rationnelle du budget de la sécurité sociale. On ne peut lui tenir rigueur de vouloir que les deniers publics soient employés à bon escient. Toutefois, il s’oppose à des visions parcellaires et caporalistes. À quoi arrivera-t-on avec de pareilles prétentions, si ce n’est décourager les médecins de s’aventurer en première ligne, celle qui est la plus exposée aux critiques ?
  • Les donnĂ©es mĂ©dicales de nos patients sont l’objet de multiples convoitises. Les rĂ©seaux de santĂ© rĂ©gionaux (Abrumet Ă  Bruxelles, le RĂ©seau SantĂ© wallon au sud du pays) sont cogĂ©rĂ©s par des reprĂ©sentants des gĂ©nĂ©ralistes et des hĂ´pitaux. Ils ont depuis toujours veillĂ© Ă  ce que les Ă©changes de donnĂ©es s’inscrivent exclusivement dans le cadre de la continuitĂ© des soins, respectant les règles europĂ©ennes dans ce domaine. Ces rĂ©seaux ont rĂ©gulièrement essuyĂ© des attaques agressives, souvent sous le prĂ©texte que le patient devait avoir accès Ă  ses propres donnĂ©es.
    Un récent article du Soir a démontré que l’on pouvait aisément accéder à des données… d’autres patients et que les liens entre le privé et le public dans le secteur de l’informatisation de la santé était loin d’être transparents. Voilà longtemps que le GBO ressent un malaise face à cette situation qui relève essentiellement de nos autorités politiques. Mais celles-ci semblent éprouver des difficultés à apporter une solution à cette question épineuse.
    Rappelons, une fois encore, que nous avons en tant que médecins la responsabilité de ce que les patients nous confient. De telle dérives entament immanquablement notre capital confiance. De même que les velléités de contrôle de notre pratique par la data-analyse de nos prescriptions électroniques, qu’elles soient médicamenteuses ou de renvoi d’ailleurs. Est-ce à une institution dans laquelle les organismes assureurs occupent une place significative à prendre le contrôle des prescriptions médicales dans des buts qui ne sont pas toujours clairs (indication des prescriptions, assurance de qualité…) et ne figuraient pas dans les objectifs de base de la prescription en mode électronique ?

Des frustrations qui s’accumulent

Un gros dictionnaire ne suffirait pas pour consigner toutes les manœuvres qui tendent actuellement à nous discréditer.

La pandémie a suscité différents types de réactions. Certaines furent remarquables, comme le fait de rassembler toutes les autorités sanitaires de ce pays autour d’une même table. D’autres sont discutables, par exemple le fait de permettre au pharmacien d’accéder à la vaccination. En soi, ce n’est pas illogique, mais la décision ne peut empêcher la montée d’une certaine frustration parmi les généralistes.

Il n’y a pas en Belgique de vision claire de l’organisation des soins de santé. Tout le monde peut faire (de) tout, sans ordre ni raison, en dehors de tout schéma constructif. Les premières lignes se concurrencent entre elles, et les autres lignes de soins concurrencent la première.

Le GBO revendique une approche globale et non cloisonnée des soins de santé, quel que soit le niveau de pouvoir, et ce selon son crédo de toujours : le meilleur soin, au moment le plus opportun, par le prestataire le plus indiqué et au juste coût.

Dr Lawrence Cuvelier