Illustration réalisée par une jeune MG (retrouvez la série complète dans l’encadré rose au bas de ce Grain à moudre)

UN JEU IDIOT MAIS « ON A TOUJOURS FAIT COMME ÇA »

Dr Lawrence Cuvelier

Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier, vice-président du GBO,
publié le 06/05/2022

Il existe des jeux à qui perd gagne. Pour un médecin, ce sera perdre son temps à des actes inutiles ou pouvant être réalisés à d’autres niveaux pour gagner un peu plus. C’est un jeu idiot.

Actuellement, la plupart des ophtalmologues sont submergés et il faut parfois patienter plusieurs mois pour avoir un rendez-vous chez eux. Ils sont débordés, ils se sont laissé déborder. Une série de tâches qui pourraient être déléguées restent de leurs prérogatives. La vision peut très bien être mesurée par un optométriste, faut-il vraiment plus de dix ans d’études pour faire cette besogne répétitive ? À vouloir sauver une sorte de monopole, n’y a-t-il pas un risque de laisser échapper des pathologies graves comme un glaucome ou une rétinopathie diabétique ? La prescription de lunettes à laquelle bien des ophtalmologues semblent attachés ne pourrait-elle pas être heureusement remplacée par des dépistages de pathologies oculaires régulières et facilement accessibles ? Les généralistes, les cardiologues et les diabétologues ne parviennent souvent pas à programmer un fond de l’œil en temps utile. Il existe même des dispositifs de télémédecine permettant de faire cet examen à distance.

Contre la routinite

Ce constat peut s’appliquer à de nombreuses spécialités, avec des arguments apparentés. Au GBO/Cartel, nous prônons le meilleur soin au meilleur endroit mais nous nous heurtons souvent à la peur du changement. Nous pensons que des réorganisations bien conduites peuvent améliorer la qualité de vie des soignants, il faut simplement accompagner ces modifications pour qu’elles n’entrainent pas des chutes de revenus brutales. Il est impossible d’envisager des réformes si on ne les accompagne pas de mesure de soutien. Personne n’est prêt à voir son gain chuter de manière intempestive mais nous pensons que trop souvent la multiplication d’actes routiniers sans plus-value par rapport à sa propre qualification est toxique pour la motivation du médecin qui finit par s’inscrire dans une routine qui peut sembler confortable mais est en fait délétère. Au Pays-Bas, les dermatologues sont déjà passés à la télé-expertise à laquelle ils sont astreints de répondre dans les 24 heures et une consultation n’est réalisée que sur envoi du généraliste. N’y a-t-il pas là un modèle d’optimisation des compétences ? Ces médecins travaillent de manière confortable, avec un revenu comparable à nos dermatologues, mais ils ont éliminé les problèmes triviaux qui continuent à parsemer les consultations des spécialistes belges.

L’approche du GBO/Cartel se veut constructive et critique, elle défend une approche harmonieuse de la vie du médecin, elle lutte pour que son travail ait du sens, qu’il ne soit pas obligé de se battre pour avoir un revenu décent dans des horaires acceptables et pour que tous ses partenaires spécialistes et paramédicaux soient perçus comme des aides et non des concurrents.

Cette approche rationnelle rencontre une forte opposition de la part de certains spécialistes et, en la soutenant, nous, les généralistes, sommes souvent considérés comme des collaborateurs des intérêts du gouvernement. Pourtant ce qui nous tient à cœur, c’est d’abord une qualité de vie des prestataires et nous pensons que la motivation, c’est-à-dire la possibilité de donner du sens à ce que l’on fait, reste une donnée essentielle de l’avenir des médecins. Autrefois, un de mes patients qui avait fait un infarctus, consultait tous les trois mois, en plus de son cardiologue hospitalier, un cardiologue de ville qui ne faisait pas plus que ce que je pouvais faire, sauf qu’il réalisait un vecto-cardiogramme, examen totalement dépassé même à l’époque. Des diabétiques de type 2 bien équilibrés encombrent les consultations des endocrinologues, et nous avons toutes les peines du monde à trouver un rendez-vous pour des situations qui requièrent vraiment leurs compétences. Pire encore, découragés par les délais, il peut arriver que nous devions renoncer à faire appel à eux. Et alors que des patients nécessitant un soin rapide ne trouvent pas de réponse dans des délais raisonnables, certaines consultations de spécialistes sont encombrées de personnes qui n’ont rien à y faire.

De mauvaises habitudes

Les services des urgences sont évidemment des exemples frappant de l’orientation plus que problématique des patients. On y voit souvent des personnes jeunes, victimes de deux mirages, celui de la primauté de l’examen technique sur l’examen médical et celui de la croyance qu’un diagnostic de certitude va leur être remis. Ces services dédiés aux urgences prennent aussi de l’importance à mesure que les consultations de généralistes deviennent saturées. Ils sont aussi producteurs d’actes techniques car, ne connaissant pas les patients, ils craignent davantage des poursuites médico-légales. Une étude californienne a montré que malgré une meilleure accessibilité des soins de première ligne suite aux réformes Obama, les patients gardaient l’habitude de consulter inutilement des services d’urgences. Il est donc évident que si l’on veut amener des modifications structurelles, il faut le faire de manière optimale, avec un maximum de communication sous peine de remise en cause sous des prétextes populistes.

Pour un changement gagnant

Si l’accès au spécialiste se fait à flux tendu, pour des patients référencés, avec accès à des données partagées, de manière simple, personnes n’y trouvera à redire, surtout si cette démarche est reconnue financièrement pour les prestataires. Cela se fera sans doute avec moins d’examens techniques inutiles et une réelle collaboration. Et même si les plus fortunés continuent à chercher leur bonheur dans une consultation avenue Louise, la majorité sera mieux soignée, dans des délais plus acceptables et avec moins de situations à rattraper. L’approche du GBO/Cartel se veut constructive et critique, elle défend une approche harmonieuse de la vie du médecin, elle lutte pour que son travail ait du sens, qu’il ne soit pas obligé de se battre pour avoir un revenu décent dans des horaires acceptables et pour que tous ses partenaires spécialistes et paramédicaux soient perçus comme des partenaires et non des concurrents.

Dr Lawrence Cuvelier

Un exemple de dysfonctionnement bien de chez nous
(par le Dr Pierre Drielsma, Trésorier du GBO/Cartel)

En Belgique, 1 diabétique sur 2 a vu un diabétologue. La grande majorité pourrait être soignée en 1re ligne. Le débat international porte d’ailleurs sur le transfert des taches du MG vers l’infirmier référent en diabétologie. On estime que 85% des patients peuvent être soigné en 1re ligne. Des chiffres britanniques récents (2021) donnent 4,23% soignés en 2e ligne (étendue de 1,24% à 16,28%, une étude norvégienne (2021) 13,5% en soins transligne, et 2,1% en soins spécialisé exclusif. Ce qui montre que le chiffre de 15% en 2e ligne est cohérent.

Série d’illustrations réalisées par un jeune MG, assorties des commentaires originaux de leur auteur. Ndlr : certes, les enjeux sont compliqués, les choses un peu plus complexes mais cette mise en images très simplifiée est tellement révélatrice de ce que peux légitimement ressentir un jeune MG ! Nous n’avons donc pas pu résister à l’envie de la partager avec vous …

Un petit dessin vaut mieux qu’un long discours, 2018 déjà cette idée en tête pour peut-être le faire en TFE, ce qui est proposé dans l’article du syndicat
(Ndlr : Le GBO adresse au ministre Vandenbroucke ses 10 propositions principales)

2019, les gentils docs profs un peu boomer se sont montrés malheureusement pas très compréhensifs

2020-2021-2022, malheureusement c’est la disruption technologique qui rattrape…

2020-2021-2022, c’est aussi l’essor de l’individualisme et du manque d’empathie et la perte du bon sens…

2022, et aussi de l’incompréhension face à des affirmations et prises de positions catégoriques (mais infondées)…

2022, c’est l’abcès de colère qui a bien maturé et qui est en train de crever…

2022, je l’espère, ce sera la naissance des solutions et l’apaisement 🙂