TABLEAU NOIR ET ZONES GRISES
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Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier, Vice-PrĂ©sident du GBO/Cartel, publiĂ© le 30/06/2023.
Invitation au mariage de lâart et de la technique
La mĂ©decine est un art : lâArt MĂ©dical ! Mais que recouvre cette proclamation, si gratifiante soit-elle ? Comment comprendre la rĂ©fĂ©rence Ă lâArt quand le peintre Malevitch prĂ©sente une toile entiĂšrement noire comme une Ćuvre dâart (1915), deux ans avant que Marcel Duchamp en dise autant dâune pissotiĂšre (1917) ? Sâil est toujours possible de trouver un confrĂšre qui pratique ce genre dâart mĂ©dical (mauvaises langues !), ces mĂ©disances ne rĂ©pondent pas Ă notre interrogation. HypothĂšse : lâart se niche dans la relation dâempathie et de comprĂ©hension rĂ©ciproque. Câest loin dâĂȘtre Ă©vident : entre les rĂ©ponses gĂ©nĂ©rĂ©es par les chatbots et celles de vrais mĂ©decins en ligne, les participants dâune expĂ©rience ont prĂ©fĂ©rĂ© les rĂ©ponses formulĂ©es par lâintelligence artificielle. Le biais, câest que ce protocole ne tenait pas compte des Ă©motions et du contexte du patient, Ă©lĂ©ment essentiel de cet art de guĂ©rir que beaucoup de mĂ©decins pratiquent Ă la maniĂšre dâhumbles artisans, premiers dans leur village mais deuxiĂšmes Ă Rome (sauf pour le professeur dâuniversitĂ© qui peut sâorner de plumes de paon). Nous sommes vouĂ©s Ă la modestie, nous ne guĂ©rirons pas tous les alcooliques, nous nâempĂȘcherons pas les complications du diabĂšte, nous ne vaincrons pas toutes les incompliances thĂ©rapeutiques. Il nous arrive Ă tous dâaccomplir une grande Ćuvre artistique, dâavoir un rĂ©flexe venu dâon ne sait oĂč qui permet de changer un destin. Les plus orgueilleux sâaveugleront sur leur performance, oubliant toutes les fois oĂč ils ont manquĂ© de perspicacitĂ©, tandis que les plus sages se diront quâil sâen est fallu dâun cheveu et que le mĂ©tier est plein dâincertitudes. Une Ă©tude amĂ©ricaine montre que si un gĂ©nĂ©raliste amĂ©ricain devait tout faire dans les rĂšgles, il devrait travailler 26 heures par jour, ce qui nous incite Ă relativiser, tant il est vrai que la critique est aisĂ©e et lâart difficile.
Au GBO/Cartel, nous combattons avec lâart de lâargumentation, en respectant nos interlocuteurs, tout en restant fermes sur nos objectifs pour arriver Ă obtenir les meilleurs soins, au meilleur endroit, par le prestataire le plus adĂ©quat, au meilleur moment, au juste coĂ»t !
Du choix entre deux mauvaises décisions
Avec tant de contraintes, on peut sâinterroger sur ce qui pousse les gĂ©nĂ©ralistes Ă travailler comme des forçats, souvent au-delĂ de lâĂąge de la pension, si ce nâest le goĂ»t pour lâart et la reconnaissance de nos patients. Il y a encore beaucoup de progrĂšs Ă faire pour que la sociĂ©tĂ© et les autoritĂ©s le comprennent. Ă lâopposĂ© de ce qui fait notre art, lâimage de la mĂ©decine est brouillĂ©e par la technologie triomphante et les mĂ©dicaments tout puissants, relĂ©guant le colloque singulier au rang dâantiquitĂ© dĂ©passĂ©e. Les Ă©tudes montrent que les check-up sans plaintes sont inutiles, iatrogĂšnes et dangereux, que la dĂ©couverte dâanomalies fortuites est plus dommageable que bĂ©nĂ©fique, et pourtant le recours inappropriĂ© aux services dâurgences poursuit une courbe dâexpansion dans tous les pays dĂ©veloppĂ©s, les demandes de radiologie pour une simple lombalgie explosent alors que les patients nâont mĂȘme pas Ă©tĂ© examinĂ©s. En se perfectionnant, notre mĂ©decine a simplement dĂ©placĂ© les limites des zones grises, ces situations oĂč il nây a de choix quâentre deux mauvaises dĂ©cisions.
Dans le travail de dĂ©fense professionnelle, en particulier celle des gĂ©nĂ©ralistes, ceux qui promettent un avenir radieux sont de vrais farceurs. La mĂ©decine de premiĂšre ligne, les soins de santĂ© primaire, et les prestataires qui consomment peu dâactes font figure de moucherons face aux structures hospitaliĂšres, aux lobbys pharmaceutiques et aux enjeux de la productivitĂ© des entreprises. Au GBO/Cartel, nous combattons avec lâart de lâargumentation, en respectant nos interlocuteurs, tout en restant fermes sur nos objectifs pour arriver Ă obtenir les meilleurs soins au meilleur endroit, et collaborer de maniĂšre harmonieuse et non concurrentielle avec les deuxiĂšme et troisiĂšme lignes de soins. Cela implique de rationaliser lâaccĂšs aux soins, que chaque spĂ©cialiste puisse voir sans dĂ©lai les patients problĂ©matiques rĂ©fĂ©rĂ©s par le gĂ©nĂ©raliste et ne pas sâencombrer de patients qui consultent le âprofesseurâ, jeu de dupes oĂč le snobisme des uns rencontre lâintĂ©rĂȘt financier des autres. Nous dĂ©fendons cette position depuis longtemps et, comme ce fut le cas dans dâautres dossiers, notre art de la nĂ©gociation finira par triompher.
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Dr Lawrence Cuvelier