SANTÉ GLOBALE, WHAT ELSE ?

Dr Lawrence Cuvelier

Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier, vice-président du GBO, publié le 21/10/2022

Dans la vie, il y a deux sortes de gens : ceux qui ont un révolver et ceux qui creusent. Toi, tu creuses. (extrait de « Le bon, la brute et le truand » de Sergio Leone).

Le monde est de plus en plus cloisonné entre une élite bien-pensante (celle qui a -symboliquement- un revolver …) et les ”autres” (ceux qui creusent …). Bien sûr, il est toujours acrobatique de classer les uns et les autres en deux groupes homogènes : l’élite est aussi diversifiée que les autres, ceux qui ne sont pas nantis d’argent, de culture ou de motivation sociale forte. Un vrai médecin est cependant appelé à côtoyer l’un et l’autre monde, surtout s’il est généraliste et qu’il n’a pas « choisi de choisir », c’est à dire qu’il ne « sélectionne » pas sa patientèle.

Les usines à Fake News

Lors de la pandémie nous avons mesuré le gouffre qui sépare la médecine scientifique et les médecines parallèles et perpendiculaires boostées par le virus. Une de mes patientes, une dame de 37 ans, a frôlé la mort et passé un mois à l’hôpital pour une infection COVID, dont une semaine en réanimation. Ce matin, elle m’a asséné toutes les théories anti-vax, alors qu’elle a failli en périr et possède un bagage culturel appréciable. Il faut dire que son parcours de vie est chaotique, marbré de fissures et d’angoisses. En général, sachant qu’il est inutile d’argumenter, je laisse passer l’orage mais, cette fois-ci, j’ai tenté de la raisonner, en vain évidemment.

Comment caractériser cette élite dont nous, médecins, faisons partie et qui semble tellement hétéroclite ? Si nous ne vivons pas les affres des fins de mois difficiles ou des problèmes de solitude, nous avons des patients que personne n’attend et qui n’attendent personne, qui ne dialoguent qu’avec leur téléviseur ou avec des réseaux sociaux, qui n’ont pas de livres chez eux, et pour qui le seul luxe est de posséder une automobile ou de se payer une sortie à Walibi.

Ils sont si rares, les responsables politiques qui peuvent appréhender la complexité du monde et ne pas enfermer les “autres” dans une logique de mépris et de culpabilité.

Je n’ai, ce disant, pas une once de mépris pour ces personnes mais je constate simplement que, depuis 40 ans et les années Reagan-Thatcher, le fossé entre les riches et la classe moyenne s’est creusé et que si, pour certains, partir à la Costa Brava avec une compagnie low cost est le comble du mauvais goût et de l’irresponsabilité climatique, ceux qui sont victimes de ce mépris deviennent insensibles à tous les discours de l’élite. Comment peut-on percevoir les propos d’une responsable écolo qui dit à des gens ayant investi cœur et argent dans un véhicule amoureusement entretenu que tous ne pourront pas avoir de voiture ? Pourrait-on les blâmer de rejeter un tel discours par une réaction comme « parle pour toi qui a une voiture et un chauffeur » ? Peu importe que l’auteur des paroles se déplace à vélo et soit pétri de bon vouloir, la personne ainsi humiliée va se reconnaître dans les discours contraires, fussent-ils tissés des mensonges les plus éhontés.

Santé globale pour tous

Le GBO/Cartel a récemment organisé le congrès RIFRESS sur le thème de la responsabilité sociale en santé et des défis à affronter pour un mieux vivre dans notre société. Il faut pour cela réfléchir et agir en termes de santé globale, une conception de la santé qui prend en compte non seulement le physique et le psychique mais aussi les dimensions sociales comme la motivation dans la vie, le sentiment d’utilité dans son activité, les choix éthiques ou spirituels et la possibilité de vivre dans un environnement convivial et affectif satisfaisant. Les praticiens peuvent témoigner qu’une personne ayant retrouvé un travail ou une compagne, peut se passer plus aisément d’anti-inflammatoire ou d’antidépresseur.

Nous sommes les témoins privilégiés de la fracture s’élargissant entre le « petit peuple » qui se sent incompris et les puissants (qu’ils roulent à vélo ou en 4×4, cela ne change pas grand-chose vu d’en bas). Au bord de ce fossé, j’ai souvent l’impression que mon témoignage dérange face à des experts bien trop sûrs de leurs équations.

Une chose qui m’a toujours estomaqué est la manie de réduire la question d’accès aux soins à son volet financier. Il est évident que l’accès financier au généraliste, aux produits pharmaceutiques et au spécialiste est essentiel. Rien n’est pourtant jamais gagné à ce sujet : on connait tous des patients qui refusent d’aller chez le généraliste, non pas à cause du coût de la consultation mais parce que les médicaments sont trop chers. Mais le plus important, pour ne pas dire le plus choquant, réside dans le fait que la plupart de nos contemporains sont embrigadés dans un système de pensée qui ne les incite pas à comprendre la santé comme un tout. Nos « penseurs en chambre » doivent intégrer qu’améliorer l’accès à la santé passe aussi par un accès correct à la connaissance, par la compréhension des enjeux, par le pouvoir de gérer sa santé avec recul et par la prise en compte, entre autres, de l’alimentation et l’exercice physique.

Les idées trop trop simplificatrices sont parfois toxiques et aligner des chiffres ne résout pas toutes les questions et enjeux médicaux. Des médecins sont parfois décriés pour certains choix thérapeutiques effectués par manque d’interactions avec d’autres intervenants de 1re ligne. Il ne sert à rien de les stigmatiser parce qu’ils prescrivent trop de ceci ou de cela. Bien plus efficace est la création d’espace conviviaux et interdisciplinaires. Il faut faire évoluer notre système de manière à ne plus jamais se retrouver dans des situations périlleuses. Une consœur n’avait ainsi pas eu d’autre option que prescrire un antidépresseur à une patiente qui n’avait pour toute perspective qu’un mur devant la fenêtre de sa chambre dans son home (au moins, dans la chanson de Jean Ferrat, il y avait encore l’amour pour oublier que sa fenêtre donnait sur l’usine). Ils sont si rares, les responsables politiques qui peuvent appréhender la complexité du monde et ne pas enfermer les “autres” dans une logique de mépris et de culpabilité.