Retour au travail des malades de longue durée : du bon, du moins bon et de l’inacceptable pour le GBO/Cartel

Flash-info 24/25, publié le 15/04/2025

Le GBO/Cartel, principal syndicat de médecins généralistes francophones, exprime sa profonde inquiétude face à certaines des mesures relatives à la remise au travail des malades de longue durée, sur lesquelles le Conseil des Ministres s’est accordé ce vendredi 11 avril 2025.

Si le plan global de prévention et de réinsertion des malades de longue durée, tel que décrit dans la déclaration gouvernementale 2025-2029 (cf. notre analyse du plan global de prévention et de réinsertion des malades de longue durée) donnait déjà une bonne idée de la direction que prendrait l’Arizona pour renforcer la politique de Retour au travail (ReAT) initiée lors de la précédente législature, une nouvelle étape vient d’être franchie avec le fameux « accord de Pâques » validé fin de semaine dernière en Conseil des Ministres (1).

Derrière les déclarations d’intentions louables du Ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke, certaines dispositions légales destinées à encadrer la politique de « Retour au Travail » (ReAT) laissent à penser que le gouvernement Arizona semble vouloir surtout mettre en œuvre une politique de suspicion, de contrôle et de sanction, tant envers les patients qu’envers les médecins généralistes et spécialistes.

🧠 Et le bien-être au travail ?

Les mesures annoncées sont étonnantes de la part d’un gouvernement qui se targuait d’être plus préventif que curatif, alors qu’aucune mesure concrète n’est prise pour améliorer les conditions de travail (et le bien-être des travailleurs) qui sont pourtant à l’origine de nombreuses maladies de longue durée, qu’il s’agisse de troubles musculosquelettiques ou de santé mentale. Où sont les politiques de prévention ? Où est le soutien aux entreprises pour créer des environnements de travail sains, respectueux et favorables à la santé mentale et physique ?

Pour le GBO/Cartel, il est urgent de changer de cap : ce n’est pas en menaçant et en stigmatisant que l’on fera revenir durablement les travailleurs malades sur le chemin de l’emploi. Il est temps de construire une politique de retour au travail réellement humaine, concertée et centrée sur les causes, pas sur les symptômes.

Une politique fondée sur la menace de sanction, pas sur la prévention

Force est de constater que les mesures fortes annoncées misent sur un effet d’annonce pour s’attaquer au mal … sans s’attaquer aux causes du mal et que le gouvernement a choisi une approche coercitive plutôt que de mettre en œuvre une politique de santé publique réfléchie qui investirait dans la prévention et le bien-être au travail en cherchant à comprendre et remédier aux causes profondes de l’absentéisme de longue durée lié au travail (principalement dues aux TMS et troubles mentaux).

Le discours officiel parle de solidarité et d’accompagnement objectif louable que nous soutenons et dans lequel nous pouvons nous investir, mais certaines mesures adoptées, qui misent essentiellement sur des obligations et sanctions, ressemble davantage à une chasse aux sorcières qui compte bien cibler les “profiteurs” parmi les patients et les “complaisants”, présumés coupables, parmi les médecins, sur base d’une surveillance algorithmique (?) des pratiques médicales.

De plus, si le GBO/Cartel dénonce la fraude sous toutes ses formes, il s’oppose fermement à la mise en place d’un « point de contact pour les employeurs qui pensent que des médecins délivrent des certificats frauduleux » car la dénonciation et la délation, procédés sordides en usage sous des régimes très éloignés des démocraties et porteurs en eux-mêmes de beaucoup d’injustices, risquent de décrédibiliser et de pénaliser des médecins soucieux d’exercer leur art dans le respect des règles d’éthique et de déontologie.

👨‍⚕️ Le rôle du médecin traitant pas facile à mettre en œuvre

Le rôle du médecin est de déterminer en conscience, en se basant sur son expertise, si un patient est capable de travailler dans une période donnée en fonction de ce qu’il sait de son état de santé et des exigences de son travail.

La profession médicale doit donc prendre sa part de responsabilité en étoffant les formations initiales et continues sur la responsabilité sociale des médecins notamment en matière de certification des incapacités de travail. De même, des formations relatives à l’utilisation correcte de la plateforme TRIO, tant d’un point de vue déontologique que technique et pratique devront être rapidement mises en place.

Néanmoins, imposer au médecin traitant de passer d’un certificat d’incapacité de travail à un certificat d’aptitude est un vœu pieux, qui sera difficile à mettre en œuvre car, outre le fait que les possibilités d’aménagement sont rares ou inexistantes dans les entreprises, le médecin traitant ne dispose pas des informations pourtant indispensables pour lui permettre de déterminer les tâches qu’un travailleur pourrait encore effectuer sur base de ses capacités et des conditions de travail spécifiques de l’entreprise.

📊 Le data mining à la rescousse de la pénurie ?

Les mesures de contrôle des incapacités de travail, qu’elles soient effectuées par le médecin contrôleur (engagé par l’employeur) et/ou par le médecin-conseil (pour les mutuelles), existent de longue date mais semblent ne pas avoir donné suffisamment de résultats. Probablement, entre autres, faute de moyens humains en raison de la pénurie qui frappe également les médecins du travail et médecins-conseils.

La plateforme d’échanges TRIO fait suite au dispositif de concertation trio qui avait été tenté auparavant et qui n’a manifestement pas donné les résultats escomptés aux yeux des gouvernements. Elle est enfin sur les rails (pour les médecins généralistes dans un premier temps) et devrait faciliter la communication au sein du triangle encadrant le patient en incapacité. Mais elle ne résoudra pas le manque de moyens humains sévissant au sein de ce TRIO et, de surcroît, le GBO/Cartel s’interroge sur le manque de moyens mis en œuvre pour les médecins traitants puisque, à sa connaissance, aucune rémunération n’est prévue à ce jour pour honorer ce dialogue au sein du TRIO. Aurons-nous les moyens de la politique voulue par le gouvernement ?

Qu’à cela ne tienne, à défaut d’avoir les ressources humaines nécessaires pour mener à bien ces contrôles, le gouvernement aura recours à des outils de data mining pour identifier les médecins outliers – càd ceux qui délivreraient trop de certificats ou pour de trop longues durée – et leur demander de se justifier (des sanctions financières sont même envisagées pour ceux qui ne modifieraient pas leur comportement à l’avenir !). Mais qui va faire ces contrôles ? Et comment ? et sur base de quels critères ? Le Service d’évaluation et de contrôle médical, déjà surchargé ? Est-ce bien sa compétence ?

Ce data mining ne sera possible que si l’ensemble des certificats médicaux sont délivrés sous forme électronique. Les médecins demandaient de longue date une telle évolution pour soulager leur charge de travail mais cette évolution s’est brusquement accélérée pour donner lieu à une obligation de certificats électronique, qui sera en vigueur àpd 1er juillet 2025.

Si le GBO/Cartel apprécie l’effort promis de détection et de sanction des médecins qui abusent volontairement du système de protection sociale, jetant ainsi le discrédit sur toute la profession, ils s’inquiètent de voir pénaliser les médecins qui ont le courage de travailler dans des zones de précarité, là où les personnes dans des situations de travail plus délétères et précaires sont plus à risque de développer des maladies de longue durée. Le risque est grand d’un désengagement de ces prestataires vis-à-vis de ces patients en grandes difficultés et d’une perte de confiance des patients dans des prestataires mis en porte à faux vis-à-vis d’eux.

🔎 (Encore) une réforme sans concertation

Le GBO/Cartel déplore également l’absence de concertation avec les acteurs de terrain : ni les syndicats médicaux, ni à sa connaissance, les sociétés scientifiques n’ont été associés à l’élaboration de ces mesures. Force est de constater que, une fois de plus, il s’agit d’une réforme top-down imposée sans dialogue préalable avec les représentants des médecins, pourtant directement concernés par ces mesures.

Les représentants du GBO/Cartel sont à disposition du Ministre pour étudier avec lui dans quelle mesure la profession pourrait remplir son rôle de responsabilité sociétale en matière de santé au travail.

(1) Notez que, à l’heure d’écrire ces lignes, le texte de cet accord, soit la loi-programme qui exécute des réformes sur lesquelles le gouvernement Arizona s’est accordé, n’est pas encore disponible mais les communiqués officiels des différents partis et du Ministre de la Santé en donnent les grandes lignes.