QUOI DE PLUS REPOSANT QUE LA CRITIQUE ?

Dr Lawrence Cuvelier

Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier, Vice-PrĂ©sident du GBO/Cartel, publiĂ© le 14/07/2023.

A posteriori, Il y a toujours des esprits supĂ©rieurs qui savent mieux que les autres ce qu’il aurait fallu faire 


Des histoires d’avion pour Ă©lever la rĂ©flexion

Le vent soufflait sur l’Arizona, un vent sans pluie, violent, un vent de Western. L’avion amorça sa descente sur Phoenix, la capitale, mais il roulait violemment de droite et de gauche. Dans la carlingue, tous les passagers se crispaient en attendant le choc, persuadĂ©s que l’aile percuterait le tarmac Ă  l’atterrissage. À 3 mĂštres du sol, voyant qu’il ne pourrait Ă©viter l’accident, le pilote poussa les gaz Ă  fond pour relancer les milliers de chevaux du Boeing 737-900 et parvint Ă  faire remonter l’appareil vers le ciel. La deuxiĂšme manƓuvre d’approche dura environ 15 minutes qui nous parurent une Ă©ternitĂ©. AprĂšs les applaudissements de l’atterrissage rĂ©ussi, aussi incongru cela puisse-t-il paraĂźtre, je fus frappĂ© du parallĂšle entre le mĂ©tier de pilote et celui de soignant, de gĂ©nĂ©raliste en particulier. Nous aussi rencontrons des situations oĂč nous avons peu de temps pour rĂ©agir et tous les guidelines du monde n’empĂȘcheront jamais qu’un Ă©lĂ©ment fatidique puisse nous Ă©chapper. Une consultation anodine peut tourner Ă  la catastrophe, une gastro-entĂ©rite devenir un pĂ©ritoine perforĂ©, une infection respiratoire d’allure banale se dĂ©grader en pneumonie et, comme le pilote d’avion, nous nous trouvons seul maĂźtre Ă  bord Ă  devoir trouver la meilleure rĂ©action sans affoler les passagers ou les patients. A posteriori, Il y a toujours des esprits supĂ©rieurs qui savent mieux que nous ce que nous aurions dĂ» faire, Ă  l’instar de ceux qui intentĂšrent un procĂšs Ă  ce pilote chevronnĂ© qui, ayant perdu tous ses rĂ©acteurs, parvint Ă  amerrir sur l’Hudson, ce qui sauva les passagers mais pas l’appareil, chose impardonnable pour les compagnies d’assurance (happy end, ces compagnies perdirent le procĂšs).

Cette volontĂ© de travailler pour le bien commun est notre premiĂšre motivation. Pourtant, certains soirs, il arrive que nous nous demandions si elle sera suffisante pour endiguer les pensĂ©es populistes et radicales qui infestent tous les milieux 


De quelques nƓuds Ă©thiques

Les syndicats mĂ©dicaux travaillent dans divers organes de contrĂŽle des pratiques mĂ©dicales, entre autres la Commission FĂ©dĂ©rale de ContrĂŽle de la pratique des soins de santĂ©, qui juge si un prestataire de soins (mĂ©decin, infirmier, pharmacien ou autre) est toujours apte Ă  exercer son mĂ©tier, la Commission d’agrĂ©ment des maĂźtres de stage en MG qui valide les stages de spĂ©cialisation en mĂ©decine gĂ©nĂ©rale, et les organes de renouvellements d’accrĂ©ditation. Dans ces commissions, nous sommes confrontĂ©s Ă  quantitĂ© de situations problĂ©matiques que nous devons juger en Ăąme et conscience. TĂąche ambigĂŒe, inconfortable car les rĂŽles du gendarme et du voleur sont jouĂ©s par la mĂȘme personne : nous nous trouvons devant des situations inacceptables et devons en mĂȘme temps dĂ©fendre la profession. Exemple pĂ©nible parmi d’autres, nous entendons de jeunes confrĂšres ou consoeurs maltraitĂ©s durant leurs stages et qui n’ont pas osĂ© se plaindre car l’autoritĂ© du maĂźtre les confinait au rĂŽle d’esclave. Puissent ces victimes ne pas devenir bourreaux Ă  leur tour. Pourtant, c’est une corvĂ©e que j’accomplis de bon cƓur – pour des Ă©moluments ridicules – car elle permet d’observer la pratique mĂ©dicale dans sa rĂ©alitĂ© concrĂšte et non pas dans l’image de ce qu’elle devrait ĂȘtre.

Le mĂ©decin, comme le pilote d’avion, affronte le rĂ©el et doit Ă  chaque instant s’adapter Ă  la situation. Parfois, il se trouve devant un « nƓud » Ă©thique, un problĂšme pour lequel il n’existe aucune bonne solution, seulement plusieurs mauvaises. Hormis dans les cas de malversation, ceux qui ne se trouvent pas eux-mĂȘmes dans la situation de ces choix problĂ©matiques ne devraient juger ni le confrĂšre ni les choix auxquels il a Ă©tĂ© acculĂ©. Car cette solitude du soignant est indicible. Les rares fois oĂč j‘ai voulu solliciter l’ordre des mĂ©decins, il m’a Ă©tĂ© rĂ©pondu que je devais formuler ma demande par Ă©crit et que j’aurai une rĂ©ponse dans un dĂ©lai non prĂ©cisĂ©. Mais tonnerre de Brest, j’ai le patient devant moi, et quelle que soit ma dĂ©cision, je sais qu’elle pourra ĂȘtre critiquĂ©e ! Quand souffle la tempĂȘte, ceux qui sont restĂ©s debout ne manqueront pas d’ĂȘtre jugĂ©s par ceux qui se sont couchĂ©s


Motivés 


C’est une position singuliĂšre que la nĂŽtre. Dans un syndicat comme le GBO/Cartel, oĂč parfois nous cĂŽtoyons le pire, certains confrĂšres nous condamnent en rĂ©pĂ©tant que “nous ne servons Ă  rien”. MĂȘme nos proches ne comprennent pas toujours notre dĂ©vouement. Pourtant, nous Ɠuvrons pour que les comportements inacceptables de nos confrĂšres ne dĂ©chainent pas les foudres des autoritĂ©s, trop heureuses de profiter du comportement dĂ©viant d’une minoritĂ© de prestataire pour Ă©dicter des rĂšgles et des lois qui nous pĂ©nalisent tous. Cette volontĂ© de travailler pour le bien commun est notre premiĂšre motivation. Pourtant, certains soirs, il arrive que nous nous demandions si elle sera suffisante pour endiguer les pensĂ©es populistes et radicales qui infestent tous les milieux 


.

Dr Lawrence Cuvelier