QUELQUES MOTS INDÉLICATS …

Dr Lawrence Cuvelier

.

Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier, Vice-Président du GBO/Cartel, publié le 23/06/2023.

Vous plairait-il de philosopher sur la différence entre la bêtise et la connerie ? (Non ? Je vous comprends. Alors sautez le premier paragraphe).

Une bêtise, ça se commet dans un contexte d’ignorance. La bêtise brute, c’est quand il n’y a pas d’intelligence (monde végétal, cornichon) ou pas assez d’intelligence (monde animal, âne). À l’échelon supérieur, il y a une bêtise plus élaborée, celle des niais et des nigauds, des gentils et des maladroits. Au sommet de la hiérarchie trône la bêtise des sots, ceux dont la vanité réduit l’intelligence au silence pour mieux se répandre dans les salons. La connerie, c’est très différent, elle est le fait de personnes non dénuées d’intelligence qui commettent une erreur de jugement (ce qui est humain) mais qui s’accrochent à leur erreur et, touchés comme par une grâce surnaturelle, s’obstinent à prendre systématiquement position pour les conneries, devenant ainsi de vrais connards. « Les cons osent tout, c’est même à cela qu’on les reconnait » (1) : il ne s’agit pas d’un manque d’intelligence mais d’une assertivité qui flingue toute réplique. Que ce qui est claironné soit vrai ou faux est totalement anecdotique, ce qui compte c’est de faire le buzz.

Danger, passage en système 1

Ce détour philosophique nous permet de comprendre que la position sociale ne vaccine absolument pas contre la connerie. Pire, la réussite universitaire peut donner de l’éclat aux conneries et transformer leurs énonciateurs, applaudis par une cour de suiveurs et autres followers, en véritables connards.

Un exemple au hasard : les médecins. Dans notre position sociale, le manque de modestie est tentant et menace la perte du sens critique ! Rançon du succès ? Au début de notre apprentissage, nous devons convoquer toutes les ressources de notre intelligence pour traquer le diagnostic et débusquer le bon traitement. L’enjeu de la vie humaine mobilise jusqu’à la dernière goutte nos potentiels cognitifs logés dans les parties les plus nobles de notre cerveau, dans ce que les neurophysiologistes appellent le système 2, abrité en partie dans l’aire préfrontale. Avec l’expérience, notre connaissance s’affine et nous pouvons nous servir du système 1, situé dans les parties basses du cerveau, plus rapides et plus économes en énergie, mais aussi plus émotionnel. C’est à ce moment-là, celui où nous commençons à nous sentir à l’aise, que le danger guette et que nous risquons d’oublier les principes de bases de la connaissance médicale contemporaine. Les biais cognitifs, comme celui de la fausse corrélation, peuvent alors nous donner l’impression erronée d’une connaissance fiable. Par exemple, nous savons qu’un épisode de diarrhée consécutif à une gastro-entérite dure rarement plus de 12 heures et évolue vers une guérison spontanée (comme la plupart des maladies) et pourtant, nous avons envie de croire à l’efficacité d’un médicament administré à la douzième heure. C’est vrai qu’ils sont merveilleux, les récits de ces patient frappés par des maladies où problèmes physiques et de santé mentale s’enlacent et pataugent dans les zones grises des diagnostics, résistant à la multiplication des consultations jusqu’à l’irruption du médecin qui les sauvera par le miracle d’un diagnostic exotique et d’une thérapie d’exception. C’est là un moment plaisant pour le médecin, mais qu’il prenne garde de s’y complaire au point d’y perdre l’esprit critique car, si le doute peut rendre fou, la certitude peut rendre con.

Plus c’est bête, plus c’est clair. La bêtise est courte et dépourvue d’astuce, alors que l’intelligence louvoie et se dérobe. L’intelligence est déloyale, la bêtise, elle, est droite et honnête.
– Fedor Dostoïevski, Les frères Karamazov

Bien sûr, les médecins ne sont pas les seuls à affronter ce type de danger, ni les seuls à y succomber. Nous connaissons tous des personnalités narcissiques grandioses, séductrices, charismatiques, compétiteurs invincibles en quête de pouvoir. Pour ce type de personnage, la vérité se trouve dans l’assertivité et dans l’exaltation des émotions telles que la peur du changement et la conviction victimaire, leur vérité se trouve là et nulle part ailleurs. Les réseaux sociaux, véritables usines à renforcer les ego et à éliminer les contradicteurs constituent un milieu nutritif idéal pour ces personnages. L’exemple parfait est l’ancien président Trump qui multiplie les mensonges sans jamais décourager ses partisans.

Mais la réalité est obstinée et ne contente pas d’approximations ou de déclarations fracassantes.
Au GBO/Cartel, nous essayons d’assumer nos tâches de la manière la plus rigoureuse au service de la médecine générale, dussions-nous nous astreindre à de longues réunions, parfois défrayées moins qu’un titre-service, royal émolument évidemment soumis à l’impôt. Expliquer une réalité complexe est une entreprise qui demande beaucoup d’optimisme, elle passe parfois par des phases de découragement, mais le plus souvent elle est exaltante et combien plus solide pour construire un avenir durable …

.

Dr Lawrence Cuvelier

(1) Michel Audiard / Les Tontons flingueurs