Flash-info 40/23, publié le 11/05/2023

Quelques considérations sur la demande de la communauté flamande de réviser à la hausse ses quotas attribués de médecins

Dr Pierre DrielsmaPar le Dr Pierre DRIELSMA, administrateur et Trésorier du GBO/Cartel,
membre de la commission fédérale de planification et de la Commission de planification de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

La commission fédérale de planification avait émis un avis prévoyant un quota de 2.029 médecins : 1.144 pour la Flandre et 929 pour la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) en utilisant une clé de répartition de 55-45.

Il y a quelques semaines, Frank Vandenbroucke, Ministre fédéral de la Santé publique, avait indiqué à la Chambre qu’il était prêt à augmenter le quota pour la Flandre et attendait une proposition concrète de la part de la Flandre quant à ses souhaits. Le 05/05/23, par la voix de ses deux ministres compétents (Ben Weyts, Ministre flamand de l’Enseignement, et Hilde Crevits, Ministre flamande de la Santé publique), le gouvernement flamand lui a donc envoyé un courrier indiquant qu’il souhaitait que 1.600 étudiants néerlandophones entament le cursus de médecine lors de la prochaine année universitaire et que le quota fédéral soit adapté à cet effet. Ce nombre à la hausse demandé par le gouvernement flamand se situe dans la ligne de l’ancienne clé de répartition (60-40).

Il y a beaucoup à dire sur cette demande tant elle souffre de paradoxes mal résolus.

💡 Le texte qui suit à servi de base à une interview réalisée par Eric Burgraff, publiée dans Le Soir du 10/05/2023, sous le titre Pierre Drielsma : « Les autorités flamandes rejoignent le sud sur l’estimation d’une pénurie de soignants » (voir le PDF).


1re question : Faut-il s’opposer à cette demande de la Vlaamse Gemeenschap ?

À mon avis non, ce n’est pas parce que cette communauté a constamment critiqué l’impéritie de la communauté Wallonie Bruxelles qu’il faut l’imiter par une symétrie inopportune.

Au contraire nous sommes heureux de constater que les autorités flamandes rejoignent le sud sur l’estimation d’une pénurie de soignants, en particulier de première ligne. À condition bien entendu que leurs revendications ne soient pas assorties d’une exigence d’une diminution du chiffre de médecins prévus pour la « Wallbruxie ». La demande d’augmentation du quota néerlandophone est une manière de récupérer la répartition historique Flandre/Francophonie de 60 %/40 %.

2e question : Devons-nous accepter ad infinitum une clé de répartition de 60% / 40% ?

Certainement non, il s’agit d’une clé faussement démographique qui de surcroît suppose à tort que la seule démographie détermine les besoins en santé.

Les estimations plus sérieuses réalisées par le modèle « responsabilité financière des mutualités » (RFM)» montraient déjà qu’il faut tenir compte, outre de l’âge et du sexe, du degré de pauvreté, du taux de chômage, de l’invalidité, etc…. Par ailleurs l’épineuse question du sexe linguistique à Bruxelles est pour le moins difficile à connaître avec la précision nécessaire.

La superficie du territoire est aussi un critère qui semble important quand on considère les visites à domicile comme un service à étoffer : soins palliatifs, alternatives à l’hospitalisation…

Cette question se pose d’ailleurs tant pour les soignants que pour les soignés.

3e question : Pourquoi donner du bois de rallonge à la Flandre alors qu’elle n’en aurait pas besoin ?

En fait, nous n’en savons rien ! En ce qui concerne la première ligne, la Flandre n’a pas connu la sous-production de généraliste dont nous avons souffert au sud. Il n’empêche que les journées des généralistes flamands sont bien remplies, ils font un peu moins de visites à domicile, des consultations plus courtes, peut être des journées plus longues. Mais nous pensons que les pratiques vont converger et que les généralistes flamands vont finir par travailleur peu ou prou comme les wallo-bruxellois, pour améliorer leur équilibre de vie. Cette intervention intempestive actuelle des ministres de la Vlaamse Gemeenschap ne fait guère qu’anticiper la réalité d’un lendemain tout proche. Pour une fois, on ne pourra reprocher aux gouvernants leur imprévoyance.

4e question : Est-ce que cela décrédibilise le travail de la commission fédérale ?

Personnellement, je ne le pense pas. Au contraire, il me semble que cette demande d’augmenter les quotas néerlandophones sur une base purement proportionnelle, sans aucune critique des quotas attribués à la « Wallbruxie », représente une validation par l’absurde de la méthodologie utilisée par la commission de planification fédérale. Le but de la démarche flamande est bien de rétablir les fameux 60/40 et non pas de contester les travaux de ladite commission.

5e question : Quelles conséquences pour l’avenir ?

À court terme aucune conséquence, le ministre Vandenbroucke semble favorable à augmenter les quotas flamands, il ne devrait pas y avoir de clash sur le sujet. A fortiori si les francophones se gardent de jeter de l’huile sur le feu et de se lancer dans une rivalité mimétique infantile.

À plus long terme, il faudra établir une méthode plus rigoureuse basée sur les besoins de santé des populations et indépendante de la demande non rationalisée de soins. Dans cette hypothèse le ratio 60/40 sera rangé aux oubliettes. Et n’oublions pas la demande maintes fois répétée de réorganiser le système de soins de santé sous les concepts d’échelonnement intelligent et de subsidiarité de soins.

6e question : Cela résoudra-t-il la pénurie de MG en « Wallbruxie » ?

Il faudra d’abord que la commission de planification wallbruxienne valide le mieux possible les sous-quotas estimé par la commission fédérale.

Cela étant réalisé, cela ne changera rien à très court terme, car il faut 9 ans pour fabriquer un généraliste.

Mais 500 MG/an, c’est sur 10 ans (5000) un renouvellement intégral de la force de travail. Donc on va clairement vers un mieux. Il faudra encore veiller à minimiser les fuites vers d’autres jobs, d’autres cieux ou tenir compte des pratiques « spécialisées spécifiques » exercées par des généralistes : médecine du sport, addiction, nutrition, et last but not least assurer une répartition géographique optimale. Mais cela ne dépend pas des commissions de planification, mais d’incitants mis en place par les régions et communautés.