QUE LE MEILLEUR GAGNE ???

Dr Lawrence Cuvelier

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Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier, Vice-PrĂ©sident du GBO/Cartel, publiĂ© le 10/12/2022.

Notre système de soins est traversé par de nombreux clivages qui divisent tant les soignants que les institutions. Tous pourraient y gagner à les gérer dans la collaboration. Mais la compétition semble bien plus excitante, tant pis si tout le monde y perd.

L’hôpital Saint-Jean s’inquiète de ne pas toucher les subsides promis par la ville de Bruxelles pour s’occuper d’enfants trouvés dans la rue. Après bien des difficultés, la ville finit par payer. Nous sommes en l’an de grâce 1211. (1)

Huit siècles plus tard, la clinique Saint-Jean, héritière de l’Hôpital homonyme, rencontre périodiquement les mêmes difficultés. Le CPAS de la ville refuse de payer, engage un célèbre avocat, cher et vilain, et perd son procès. Systématiquement. L’argent du contribuable est ainsi engagé dans des procédures inutiles et purement idéologiques : “On ne va pas payer pour ces cathos”. Aux uns, on attribue toutes les vertus ; aux autres tous les péchés.

Si on privilĂ©giait l’excellence plutĂ´t que la concurrence, on arrivera Ă  mieux soigner les patients, et s’il existait des incitants financiers pour les collaborations, on pourrait sauver pas mal d’institutions locales.

Les bons contre les mauvais

En tous temps et en tous lieux des conceptions opposées s’affrontent. En général, on ne peut s’empêcher de critiquer la manière de pratiquer de “l’autre”, qui devient vite l’ennemi à abattre (pensons aux systèmes réputés antagonistes où les uns seront payés au nombre d’actes et les autres selon d’autres critères où le nombre d’actes n’intervient pas). Il existe pourtant des outils de comparaison plus pertinents et surtout des indices de satisfactions de prestataires et de patients.

Il y a chez les spécialistes comme chez les généralistes, des médecins vertueux, d’autres moins, et même des confrères vénaux et des incompétents (les deux peuvent se cumuler). On peut faire la même description pour les établissements de soins, qu’ils soient privés ou publics. Cela peut aboutir à des plaintes. Que deviennent-elles ? Un seul hôpital fait régulièrement un feed-back sur les plaintes avec les médecins généralistes. Exception réjouissante mais trop rare. Evidemment, si le financement des hôpitaux dépendait en partie de ce type de démarche proactive (rêvons !), la qualité des prestations pourrait bien s’améliorer.

Ă” miroir, dis-moi qui a le plus bel hĂ´pital

De multiples dangers menacent les hôpitaux belges jusque dans leur survie : le Covid a vidé certains services, la crise énergétique et la mutation technologique vident les caisses. On comprend que chaque dirigeant a à cœur de sauver son institution et ne peut éluder les arguments commerciaux, fussent-ils sans rapport avec la demande de soins. Un gestionnaire pourra céder à la tentation d’un investissement coûteux qui dotera son hôpital d’un plus bel appareil que le voisin, même si cela ne se justifie pas sur un plan régional. On fusionnera des laboratoires de biologie clinique non pas pour améliorer la qualité du service mais pour avoir le plus grand laboratoire et tant pis si la discussion des cas difficiles n’en sera que plus impersonnelle. On gagne pourtant tellement à se connaitre entre confrères, à établir une relation dans laquelle chacun peut apprécier la sensibilité et la compétence de l’autre. Tout comme une analyse biologique prendra une toute autre signification pour l’ermite et pour le joyeux drille, alors que le contexte n’est pas mentionné sur la fiche administrative.

Comme des taureaux

Notre système de santĂ© n’est ni mĂ©diocre ni particulièrement cher. Il doit faire face Ă  des dĂ©fis, en particulier au dĂ©ficit de prestataire liĂ© aux restrictions d’accès Ă  la profession de mĂ©decin dĂ©crĂ©tĂ©es pour de malencontreuses raisons communautaires. Cela crĂ©e des situations absurdes. Un exemple frĂ©quent : mon patient va faire l’IRM que je lui prescris Ă  Furnes ou Ă  Tirlemont oĂą il n’y a pas de dĂ©lai d’attente, alors qu’ il faut compter en semaines ou en mois Ă  Bruxelles. Il existe pourtant des propositions très concrètes pour mutualiser les demandes urgentes entre les diffĂ©rents hĂ´pitaux. Si on privilĂ©giait l’excellence plutĂ´t que la concurrence dans les diffĂ©rentes rĂ©gions du pays, on arrivera Ă  mieux soigner les patients, et s’il existait des incitants financiers pour les collaborations, on pourrait sauver pas mal d’institutions locales. Mais il faudrait pour cela que les hommes politiques affublĂ©s d’une Ă©tiquette verte, rouge ou bleue perdent le rĂ©flexe de foncer comme des taureaux sur les Ă©tiquettes d’une autre couleur. Le bien commun est Ă  ce prix, un prix que certains ne veulent pas payer.

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Dr Lawrence Cuvelier


(1) La femme dans la cité au moyen-âge, Jelle Haemers, Andréa Bardyn, Chanelle Delameilleure, édition Racine 2022.