QUAND LA MAGIE PAYE MIEUX QUE LA SCIENCE …

Dr Lawrence Cuvelier.
Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier,
vice-président du GBO/Cartel, publié le 13/10/2023.

Il faut tout de même bien se rendre compte que les charlatans et les placebos coûtent moins cher à la sécurité sociale…

Un ami de mon fils se débattait avec des maux de tête, des problèmes de sommeil et même du bruxisme. Sur recommandation d’une connaissance, il a consulté un thérapeute dont on lui avait assuré qu’il faisait des miracles. Ce thérapeute à la qualification floue (médecin ? radié ? autre ?) lui a exposé de grandes théories, fait quelques passes de mains autour de la tête et demandé 70 € cash, sans attestation. Bien que le patient, ingénieur, ait eu grand mal à réprimer quelques fous rires lors de la « consultation », il a observé pendant quelques jours une meilleure qualité de sommeil sans disparitions des autres symptômes … Un bénéfice secondaire de son hilarité ? Voilà qui illustre combien la rencontre avec le soignant le plus farfelu peut avoir un effet puissant sur nombre d’affections.

On peut sourire des pratiques charlatanesques, mais il est grand temps d’arrêter de « tenir le fou » avec les soignants de première ligne …

Rien d’étonnant puisque la plupart des affections guérissent spontanément ou avec un placebo, comme l’attestent les premières expérimentations en double aveugle qui ont été réalisées avec la streptomycine dans le traitement de la tuberculose* : les chiffres de mortalité à 6 mois démontraient clairement l’efficacité de cet antibiotique mais même les patients ayant reçu un placebo se sentaient mieux au début du traitement !

Docteur, vous pouvez venir réparer ma télé ?

L’histoire de la médecine est ainsi parcourue d’hypothèses que nous qualifierons d’audacieuses. Au 18e siècle, une femme qui présentait les symptômes d’une dépression (terme inconnu à cette époque) résistant à tous les soins de son médecin parisien fut appelée en urgence à Bordeaux où l’attendait une fortune tombée du ciel. En revenant bien secouée de ce voyage de plusieurs jours en diligence par des chemins cahoteux, ses symptômes de dépression avaient disparus. Sans accorder crédit à la possibilité que la bonne fortune et l’énergie déployée pour la quérir pouvaient expliquer cette guérison, le médecin se lança dans la conception de chaises à ressorts et autres dispositifs instables du même type pour soigner les troubles dépressifs en secouant ses patients (incidemment, on croise encore de nos jours des médecins qui soignent leurs dépressifs en leur assénant qu’ils n’ont qu’à se secouer …). À cette époque, les théoriciens de la médecine avaient établi que la santé dépendait du tonus des tissus et que seule l’eau froide était bonne pour se laver. C’était un progrès car, auparavant, les autorités religieuses et médicales s’étant mises d’accord pour recommander de ne pas se laver du tout et proscrivaient les étuves, lieux de rencontre entre sexes considérés comme malsains pour des raisons fort éloignées d‘un souci d’hygiène. C’est ainsi que, jusqu’au 20e siècle, douches et bains chauds ont fait l’objet de fortes réticences dans les ouvrages d’hygiène destinés aux jeunes filles et qu’un certain nombre de personnes âgées continuent encore aujourd’hui à prendre des douches froides, même parmi mes proches. Dans la mesure où cela diminue leur empreinte carbone, qui s’en plaindra ?

Docteur, vous pouvez venir réparer ma télé ?

Pour en revenir à notre thérapeute aux passes magiques, il gagne probablement bien plus que le généraliste ordinaire. Son action peut pourtant avoir des conséquences catastrophiques si elle retarde le diagnostic d’une affection grave. Quant à le condamner pour exercice illégal de la médecine, vu l’arriéré judiciaire et le peu de moyens dont dispose la justice, il a plus de chance de se reposer à l’ombre d’un palmier tropical qu’à celle d’une prison.

Fameux contraste avec le dialogue que nous pouvons avoir avec nos autorités qui possèdent les chiffres de tous les abus commis par les soignants. Souvent, ces abus (que le GBO/Cartel condamne vigoureusement) sont brandis comme des arguments pour durcir les négociations et s’opposer à la revalorisation des soins de santé. C’est ainsi que les visites de l’infirmière, du kinésiste ou du médecin, indispensables pour le maintien à domicile des patients grabataires ou à mobilité réduite, sont considérées comme un risque d’abus et, en conséquence, les frais de déplacement des soignants sont honorés à un niveau ridiculement bas qui fait se marrer le moindre technicien. Alors, entre appeler le médecin ou le plombier, le choix est vite fait …

Je ne sais pas si le budget de la sécurité sociale pourrait supporter une revalorisation de la visite à domicile à son juste prix mais, ce que je sais, c’est que cette non-reconnaissance financière constitue un des facteurs d’abandon des professions de soins en première ligne, au même titre que les conditions de vie des prestataires, notamment des jeunes qui ont des enfants et qui ont bien du mal à assurer un métier qu’ils aiment. Alors on peut sourire des pratiques charlatanesques, mais il est grand temps d’arrêter de « tenir le fou » avec les soignants de première ligne …

* Medical Research Council — Streptomycin treatment of pulmonary tuberculosis. Brit. Med. J ., 1948, ii , 769-82.