POTION MAGIQUE

Dr Lawrence Cuvelier.
Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier,
vice-président du GBO/Cartel, publié le 01/09/2023.

Malade, moi ? Jamais ! Plutôt mourir !

Dix ? Vingt ? Cinquante ? Davantage ? Combien sont-ils, parmi vos malades, ceux qui n’acceptent de se savoir malade qu’avec beaucoup de réticence et seulement après avoir livré avec vous un long combat. Monsieur XY n’est pas d’accord avec son cardiologue qui suspecte une hypertension et me consulte en brandissant une brochure sur les huiles essentielles, martelant du bout de l’index la page vantant les vertus hypotensives de l’essence de lavande. Ce qui émergera de notre discussion, c’est le refus de se sentir porteur d’une maladie chronique – c’est juste le stress docteur ! – et d’avoir à prendre un médicament toute la vie. Dans le passé, ce patient aurait peut-être fait un pèlerinage pour frotter le pied en stuc d’une sainte guérisseuse , aujourd’hui il choisira la croyance magique en un remède « naturel » qui le débarrassera de façon miraculeuse de sa maladie. À notre époque, accepter sa vulnérabilité n’a pas bonne presse, les maladies longues ou chroniques sont stigmatisée, et nous sommes tous poussés à intérioriser un mythe d’invincibilité – il y a derrière ce mythe des élucubrations philosophiques, des incitants politiques et surtout des intérêts économiques, mais ceci est une autre histoire. Rien d’étonnant à ce que cette attitude entraine un retard dans la mise en route des soins, qu’il s’agisse de dépression, d’hypertension ou de diabète. Les plus dangereuses sont les maladies avec peu de de symptômes ou des symptômes très progressifs comme la bronchite chronique qui font des ravages parmi les défavorisés et ceux qui ont une faible capacité à comprendre leurs maladie. Il y a à l’évidence de solides biais cognitifs à l’origine de ces dérives.

Esprit, où es-tu ?

C’est un biais cognitif ancré dans notre désir qui nous fait croire que cette femme si jolie ou cet homme si séduisant, doit être bon.ne, gentil.le et intelligent.e. En médecine, ce biais de désirabilité nous fait croire que nous ne sommes pas vraiment malade ou qu’une potion magique, une imposition des mains par une nuit de pleine lune fera disparaître nos tourments. La peur de la maladie a toujours fait prospérer les charlatans qui jouent sur nos émotions et nous désarriment de la raison. Vous imaginez-vous expliquer à ce patient incrédule que pour démontrer l’effet de la lavande sur la tension artérielle, il faudrait administrer de la vraie lavande et du placebo pendant des année à des cohortes randomisées pour voir si il y a un quelconque effet, alors qu’il suffirait de prescrire un régime pauvre en sel aux effets démontrés mais plus désagréable à suivre ?

Au 19e siècle, deux sœurs américaines ont rassemblé des proches pour faire parler les morts, avec des coups frappés pour obtenir des réponses à des questions fermées. Le spiritisme était né. Des années plus tard, des millions d’adeptes faisaient parler leurs morts. Pourtant, la supercherie avait été démontrée, la promotrice de cette technique faisait parler les morts au moyen d’une ficelle dissimulée qui faisait tomber une pomme ou craquer une articulation du pied. La supercherie éventée, on s’attendait à ce que cette pratique disparaisse. Il faut croire que le chagrin de la perte d’un être cher vide certains endeuillés de toute rationalité.

Exercer la médecine générale exige un cadre de vie souple, par une bonne organisation des soins avec des collègues, dans le souci d’un équilibre de vie, et avec l’aide d’un entourage soutenant. Il revient au syndicat de favoriser une organisation de la profession qui soit la plus harmonieuse possible, en allégeant la charge administrative et en favorisant les pratiques qui ont du sens pour éviter démotivation et burn-out.

Magie : finie la pénurie, mettez les ancêtres au travail !

La potion magique est évidemment aussi un fléau dans le débat politique, en particulier dans la politique de la santé où des pléiades d’intervenants l’utilisent pour défendre leurs intérêts propres, quitte à instrumentaliser des situations émouvantes. Il en est ainsi des innovations coûteuses au bénéfice thérapeutique bien mince pour lesquelles sont déployés des moyens de communication redoutables y compris l’exposition de cas tragiques. Du même acabit sont les formules simplistes qui polluent le débat en matière de santé, comme celle qui préconise d’obliger tous les porteurs d’une certification de médecin généraliste à pratiquer pour lutter contre la pénurie. Je suis généraliste depuis 40 ans, mais après un mois de congé, j’éprouve des difficultés à me souvenir de tout, alors vous pouvez imaginer les dégâts que pourrait faire la mise au travail de gens qui n’exercent plus depuis des années. Exercer la médecine générale exige un cadre de vie souple, par une bonne organisation des soins avec des collègues, dans le souci d’un équilibre de vie, et avec l’aide d’un entourage soutenant. Il revient au syndicat de favoriser une organisation de la profession qui soit la plus harmonieuse possible, en allégeant la charge administrative et en favorisant les pratiques qui ont du sens pour éviter démotivation et burn-out. Pour que plus jamais on n’entende des histoires comme celle de cette consœur avec de jeunes enfants qui, à son corps défendant, avait dû abandonner la profession de généraliste car elle s’était retrouvée seule. La tâche est rude, et nous sommes loin des objectifs idéaux, mais le GBO/Cartel a pu engranger des avancées significatives bien reconnues par nos adhérents et nos électeurs.