PLÉTHORE, VOUS AVEZ DIT PLAIE TORT ?

Dr Lawrence Cuvelier

Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier, vice-président du GBO,
publié le 22/04/2022

L’enjeu de la Commission de Planification des sous-quotas de la Fédération Wallonie-Bruxelles est de taille. Or, une série d’attitudes sans fondement parasitent un débat serein et basé sur des preuves. La politique de santé serait-elle ici fondée d’abord sur la volonté du consortium hospitalo-universitaire de produire des assistants spécialistes taillables et corvéables à merci ?

L’inégalité de la préparation aux études et l’origine socio-économique des candidats peut avoir un impact positif en santé publique

On peut comprendre qu’il n’est pas dans les objectifs immédiats de certains de combattre les inégalités d’accès dans les soins de santé. Certaines priorités comme la survie de leurs institutions ou le succès électoral sont des préoccupations qui prennent le pas sur des considérations sociétales. La sélection et la formation des médecins fait pourtant partie des enjeux pour atteindre une amélioration globale de la santé de la population, et en particulier des plus démunis. Avec un système d’enseignement secondaire particulièrement inégalitaire en Belgique, où les bonnes écoles sont fréquentées en majorité par les classes sociales les plus favorisées, un concours d’entrée favorisera de facto les “fils de”.

Il peut venir à l’esprit que cela n’aurait pas de conséquence sur la santé publique, hormis une injustice dans le niveau de préparation, qui pourtant tend à se résorber après un ou deux ans à l’université. Des études américaines ont pourtant bien démontré que des soignants issus de la diversité sociale améliorent de façon notable la qualité des soins aux personnes les plus fragiles socio-économiquement, et que, à l’inverse, la sous-représentation de certaines catégories de personnes à des postes clés, par exemple les femmes dans des postes de responsabilités des universités ou des afro-américains dans des secteurs comme la cardiologie, avait des conséquences mesurables sur les indicateurs de santé publique.

En dehors de son caractère anti-social, le concours d’entrée en médecine nous parait particulièrement inepte pour trois raisons principales.

Nous allons vers une situation très compliquée en médecine générale dans les 10 années qui viennent, avec un risque évident de surmenage de nos jeunes confrères qui risquent d’abandonner la profession, aggravant encore la pénurie.

Vous aimez les échecs ? Faites la médecine générale !

En premier lieu, il se fait sur base de sciences dures, comme la physique, et à moins de sélectionner sur la physique quantique, ou la théorie du chaos, il s’agit de matières qui sont fort éloignées de la pratique médicale qui, en-dehors d’un faisceau de connaissances, doit gérer l’incertitude, la psychologie et l’anthropologie. Il est évidemment saugrenu d’imaginer qu’une sélection valable puissent-être faite sur des matières aussi disparates, mais qu’on nous démontre la corrélation entre ce type de sélection et la bonne pratique médicale. Nous avons tous en mémoire, de brillants condisciples qui placés devant la souffrance et l’échec thérapeutique ont préféré se tourner vers des écrans et des éprouvettes.

La plupart des facultés de médecine francophone ont laissé une place très réduite à l’enseignement de la médecine générale, et à une vision globale de la médecine. Un petit exemple tiré d’une publication récente : les vomissements et maux de tête peuvent être le signe d’une hypertension intracrânienne chez l’enfant. Cependant, l’incidence de cette pathologie grave est de 3/100.000, alors que l’association de ces symptômes est extrêmement fréquente. Un neuro-pédiatre va, dans sa pratique, avoir une accumulation de cas dramatiques, ce qui n’est pas le cas en MG et donc ne peut pas être un axe de décision pour les MG.

Une pénurie annoncée

En second lieu, nous allons assister à une pénurie de généralistes dans tout le pays, et pas seulement en Wallonie et à Bruxelles. Pour la capitale, on peut dire que, si on avait voulu le faire exprès, on n’aurait pas fait autrement. Des normes négociées sous le précédent gouvernement, avec un taux irréaliste d’habitants néerlandophones dans la région (basé sur la fréquentation des établissements scolaires flamands), et non compensé par une arrivée massive de confrères néerlandophones à Bruxelles. Le manque de généralistes a des effets délétères sur la morbi-mortalité. Les primes Impulseo à Bruxelles sont depuis peu limitées à 10 jeunes généralistes par an, au profit de structures multidisciplinaires. Le GBO/Cartel déplore cet état de chose et l’a signifié au ministre responsable. En France, une municipalité sans généraliste est considérée comme une commune qui se meurt…

Comme nous sommes dans un pays de libre circulation des travailleurs au sein de l’Union Européenne, nous assistons déjà à un afflux de médecins issus de pays moins favorisés, qui ont été formés au frais de leur pays d’origine déjà mal lotis en matière de couverture médicale. L’afflux de ces généralistes diminue le quota des places disponibles. À ce rythme, une majorité des généralistes pourrait demain avoir été formé en-dehors de la Belgique.

Nous avons du mal à comprendre la logique de tout ceci. Il y a évidemment ce vieux contentieux entre le niveau fédéral et la Fédération Wallonie-Bruxelles, dont les universités francophones ont délibérément dépassé les quotas, nous plaçant dans une situation délicate face à nos interlocuteurs flamands. En ce qui concerne la médecine générale, nous allons vers une situation très compliquée dans les 10 années qui viennent, avec un risque évident de surmenage de nos jeunes confrères qui risquent d’abandonner prématurément la profession, aggravant encore la pénurie.

Le risque d’une nouvelle pléthore : un faux problème issu de l’imagination de certains

La troisième raison, est qu’une série de généralistes exercent en dehors du cabinet de médecine générale de manière utile, que ce soit dans des professions annexes à la médecine générale, comme les troubles liés aux assuétudes, la tabacologie, l’alcoologie, les plannings familiaux, la médecine scolaire, la médecine du sport, l’ONE, etc. Ces activités peuvent s’exercer en parallèle à une activité de généraliste mais aussi de manière exclusive pour des raisons d’équilibre entre vie privée et professionnelle. Par ailleurs, si des places de généralistes sont également nécessaires dans des institutions publiques (administrations, …) ou dans le secteur privé ou associatif (par ex., organismes assureurs), l’utilisation de généralistes dans des services hospitaliers nous parait être une dérive regrettable.

À l’heure actuelle, il semble que l’intérêt commun, c’est à dire une médecine générale forte qui ne soit pas au bord de la rupture, ne semble pas être à l’ordre du jour d’un certain nombre de cénacles de décision. Il faudra de toute manière réviser la liste des tâches de l’omnipraticien pour qu’il puisse exercer de manière sereine ce qui est spécifique à sa profession, mais aussi laisser former suffisamment de jeunes qui choisiront la médecine générale non par dépit mais par vocation d’exercer ce beau métier pour lequel nous devons encore et toujours améliorer l’attractivité.

Dr Lawrence Cuvelier

Alerter sur un risque de pléthore : est-ce bien raisonnable ?
(par le Dr Pierre Drielsma, Trésorier du GBO/Cartel)


Capacité en MG et remplacement des effectifs – Source : INAMI – Direction Recherche, Développement et promotion de la Qualité (RDQ)

Les courbes ci-dessus démontrent 3 choses :

  • Une très forte féminisation de la MG (courbe bleue à gauche).
  • La production actuelle de MG ne parvient pas à atteindre le niveau des années de pléthore puisqu’elle ne dépasse pas 250 MG en équivalent temps plein (ETP) VS une production nette > 500 MG durant la pléthore (les chiffres actuels des générations plus âgées ne sont que le reliquat de la production d’antan).
  • Tableau de droite : la hausse des MG entre 27 et 35 ans observée depuis quelques années ne suffit pas à compenser les pertes.

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Ci-dessous : projection du nombre de MG (en ETP et en nbre de personnes) au nord et au sud. 2 constats ressortent de ce tableau :

  • Au sud : les choses n’empirent plus … mais ne s’arrangent guère.
  • Au nord : légère (mais insuffisante) amélioration, comme le confirme la pénurie signalée dans la zone de St Niklaas.

Conclusions :

  • Il ne faut pas baisser les bras, la crise démographique de la MG n’est pas derrière nous.
  • Nous ne devons en aucun cas abandonner ce combat qui est loin d’être gagné.


Source : document interne de la commission forfait à l’INAMI, validé par les différents protagonistes au nord.