Peut-on vivre déconnecté ?

Dr Lawrence Cuvelier.
Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier, Vice-président du GBO/Cartel,
publié le 07/06/2024

Informatisation des données de santé et de la pratique médicale : gain de temps, d’efficience et soutien efficace à la pratique au service des médecins généralistes … ou l’inverse ?

Hier matin, au début de ma consultation, la terre s’est déchirée et un gouffre s’est ouvert sous mes pieds : pas moyen d’ouvrir ma session informatique ! Je m’acharne, les minutes passent, puis les dizaines de minutes, le téléphone s’agite, la salle d’attente se remplit, on toque à la porte et toujours rien ! Quand j’ai dû me résoudre à pratiquer sans mon précieux logiciel, je me suis senti comme le pilote d’un avion de chasse obligé de rentrer à pied à la base. J’avais beaucoup d’appréhension, mais au terme de cette consultation sans connexion où j’avais vu 15 patients, j’étais toujours vivant et plutôt en forme !

MG et connexion, amours et frictions

Cette plongée dans un passé déconnecté fut une expérience pleine d’enseignements. Le premier, à ma grande surprise, c’est que j’avais gagné du temps ! J’avais dû rédiger mes prescriptions à la main, vérifier sur le CBIP les conditionnements de chaque grande boîte de médicaments – impossible de me souvenir s’il y a 90, 92, 96, 98, 100 ou 120, comprimés, c’est le logiciel qui savait tout et me prévenait des ruptures de stock – et malgré cela j’avais gagné du temps ! Il faut dire que les autres documents sont bien plus simples à rédiger à la main ! L’autre constat est que, pour la majorité des consultations, je me suis rendu compte que le rapport écrit n’a probablement pas d’intérêt, je n’ai eu aucun problème à m’en passer et je n’imagine pas les confrères de ma structure de santé ou d’autres prestataires s’attarder sur une consultation banale.

Même si nous recevons une prime à cet effet et que, à d’autres niveaux, avoir un dossier bien structuré n’est pas dénué d’intérêt, il importe que son but premier soit et demeure l’amélioration des soins.

Les médecins, et en particulier les généralistes belges, ont fourni des efforts considérables pour informatiser leur travail et l’avance de notre pays dans ce domaine est exceptionnelle. Il y a de vrais progrès comme la prescription électronique ou le partage des données médicales avec accès à toutes celles publiées dans n’importe quel hôpital de Belgique ou dans les résumés faits par les généralistes. Le portail Ma Santé donne aux patients accès à certaines de leurs données et m’a permis, au cours de la matinée sans logiciel, de commenter leurs résultats sur leurs smartphones.

Depuis plus de 20 ans, je suis Président du conseil d’administration d’Abrumet qui héberge le réseau santé bruxellois, une position qui me permet d’accéder aux travaux d’experts et d’observer les démarches de nos autorités, certaines visionnaires, d’autres me laissant perplexe, d’autres encore carrément loufoques. Mais cette matinée sans logiciel a recadré ma façon de voir quelles sont les démarches utiles au patient ou au médecin pour l’amélioration de la santé. Ainsi, il est incontestable que le rapport efficacité/coût des annotations est défavorable car dans l’immense majorité des cas elles ne serviront à rien dans la perspective d’un meilleur soin et n’auront qu’un intérêt historique si un problème grave y est annoncé. Une autre objection concerne le résumé de la consultation par un code : ceux que l’on nous demande d’utiliser, icd 2 et 10, sont soit vagues soit trop précis et orientés hôpitaux (facturation, etc). D’autres codes existent et offrent des alternatives à envisager.

Upgrades pour un contrat de mariage

Entendons-nous bien : je ne remets pas en question l’informatisation médicale, mais je remarque qu’elle prend beaucoup de temps. En fait, on a l’impression que les promoteurs poursuivent d’autres buts, certes très nobles, comme par exemple de démontrer l’utilité du travail trop souvent déconsidéré des généralistes. Mais de là à nous astreindre à un travail considérable de peu d’utilité … Même si nous recevons une prime à cet effet et que, à d’autres niveaux, avoir un dossier bien structuré n’est pas dénué d’intérêt, il importe que son but premier soit et demeure l’amélioration des soins.

Alors, peut-on vivre sans connexion ? Non, plus au XXIe siècle. Mais il faut améliorer les contenus et les objectifs de l’informatisation. Et porter ces améliorations au contrat de mariage (pas malheureux mais un peu forcé ?) entre informatique et MG.

L’informatique au service du médecin, et non l’inverse

Comment ne pas tenir compte des frustrations devant un écran qui n’affiche pas la réponse à une requête ? Le médecin et le patient sont là à se regarder l’air misérable en attendant le bon vouloir des méandres informatiques. Le GBO s’est montré proactif en mettant en place “eHealth bugs”, un formulaire de notification des problèmes rencontrés avec la plateforme eHealth et tous les outils informatiques qui en dépendent.

Mais, parfois, comme dans d’autres domaines, c’est toujours la faute de l’autre …