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Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier, président du GBO/Cartel, publié le 30/08/2024.
Les billets repris dans la rubrique « Grains à moudre » témoignent des opinions personnelles de leur auteur (et n’engagent que lui), sans nécessairement refléter la position du GBO/Cartel.
De l’Homo Neanderthalensis à l’Homo Specialis
Il y a 50.000 ans, Homo Neanderthalensis mit au point une invention révolutionnaire : le racloir, encore employé de nos jours pour lisser les peaux de bête dont nous utilisons le cuir pour nous vêtir. Plus tard, le cousin Homo Sapiens lui piqua l’idée et l’améliora : il raclait toujours mais avec de la pierre polie qui lui facilitait la tâche et en outre lui donnait un avantage certain à la chasse et à la guerre : le Progrès était en marche. C’est ainsi que la maîtrise technique a contribué à diversifier les sociétés humaines (avec ses variétés plus ou moins créatrices et plus ou moins prédatrices).
Le domaine de la santé est l’un de ceux où cette inventivité humaine s’est largement déployée, parfois de manière légitime, parfois moins et parfois aussi en se berçant d’illusions, dans certains cas fort coûteuses. Les hôpitaux créés aux moyen-âge furent d’abord l’affaire de quelques idéalistes habités de buts sociaux, comme le chancelier Rolin (celui de « la Vierge du chancelier Rolin » de Jan Van Eyck) qui investit des moyens considérables dans les hospices de Beaune. Le confort y était remarquable mais le séjour était réservé aux seuls indigents. Au fil des siècles, les institutions évoluent. Qu’elles soient publiques ou privées, certaines gardent leur légitimité, parfois en absorbant toute l’énergie de leurs serviteurs pour maintenir une organisation obsolète. D’autres s’éloignent de leurs buts premiers et finissent par disparaître. Aujourd’hui, l’hôpital qui était réservé aux plus pauvres est devenu un lieu d’excellence médicale mais parfois il faut être fortuné pour avoir accès aux soins (en tous cas dans des délais raisonnables …).
Dans notre ère de bipolarisation, il est bon de se rappeler que les créatifs et les idéalistes, ceux qui prennent des risques, sont indispensables au fonctionnement et au développement de la société, mais que souvent l’intervention de l’argent finit par dénaturer les projets et peut entraîner des dérives dramatiques.
Le blues de la finance
Le domaine de la création et de l’innovation n’échappe pas à l’opposition idéologique entre la droite et la gauche. Il y aurait d’un côté les “exploiteurs”, ceux qui créent les entreprises, et de l’autre les exploités, ceux qui y travaillent. Si cela a correspondu jadis et correspond parfois encore à la réalité, il s’agit le plus souvent d’une caricature et les frontières sont perméables entre les deux camps (du moins dans notre beau pays). À droite comme à gauche, personne n’a le privilège exclusif de l’abus, du monopole ou de la tromperie et il est incontestable que, à droite comme à gauche, de grands serviteurs de l’État ont mis leur créativité au service du bien commun de même que nombre d’entreprises ont amélioré la condition humaine.
Il y a 50 ans, de jeunes idéalistes du type Homo Medicus créaient des maisons médicales, ils prenaient des risques, vivaient d’amour et d’eau fraiche et … empruntaient aux banques. Malgré leur vision sociale et communautaire, c’étaient des entreprises privées, avec tous les risques économiques inhérents à un projet novateur privé. Ni les mutuelles, ni les politiques, ni aucune autorité ne croyaient à l’avenir de cette nouvelle forme de pratique. Aujourd’hui, le projet a fait ses preuves et les maisons médicales sont devenues des lieux confortables pour ceux qui y travaillent (du moins financièrement). À la même époque que les maisons médicales apparurent les polycliniques, conçues au départ pour offrir une bonne accessibilité à des spécialistes (Homo Specialis) en ambulatoire. Que ce soit pour les polycliniques ou les maisons médicales, l’idéal du départ a vieilli …
Dans notre ère de bipolarisation, il est bon de se rappeler que les créatifs et les idéalistes, ceux qui prennent des risques, sont indispensables au fonctionnement et au développement de la société, mais que souvent l’intervention de l’argent finit par dénaturer les projets et peut entraîner des dérives dramatiques. Le chef d’une entreprise qui avait été à la base d’innovations majeures en matière de protéines végétales me racontait comment l’intervention des financiers dans l’entreprise avait mené à une catastrophe.
Alors je me dis que finalement, l’idéalisme, c’est aussi rentable que l’argent. Si pas plus …