OPINION SUR RUE

Dr Lawrence Cuvelier

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Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier, Vice-PrĂ©sident du GBO/Cartel, publiĂ© le 24/02/2023.

Quand la vérité scientifique ne plait pas, certains jettent le scientifique et gardent la vérité.

Le jour où son institution organisait un débat sur les questions éthiques autour du Covid, le président de l’Ordre des médecins a trouvé ses pneus dégonflés. Dans l’esprit des auteurs de cet acte héroïque, nul doute que cette méthode ferait changer l’opinion de ce médecin, qu’il se frapperait le front en grommelant “bon sang, mais c’est bien sûr”, qu’il s’agenouillerait en confession publique, dénoncerait ses erreurs et réclamerait sa déportation en Sibérie. À moins que cet attentat n’ait été qu’un objectif secondaire dans un plan beaucoup plus vaste, à l’instar des menaces de mort dont ont fait l’objet nombre d’intervenants dans la crise Covid pour que, vaincus par la peur et la violence, ils inversent leurs positions.

Une complication inattendue du Covid

L’Ordre des médecins a organisé un débat de haute tenue, tout en nuances, pour analyser les erreurs du passé face à la pandémie de Covid, entendre les critiques et préparer l’avenir. Mais à leur arrivée, les participants ont été accueillis par une horde de manifestants et dans la salle, tous les médecins opposés aux mesures prises s’étaient donné rendez-vous. Ce fut un exploit des animateurs que les discussions ne tournent pas au pugilat.

Il est fascinant de constater que certains médecins tiennent leurs opinions pour une vérité irréfragable, comme dans les temps pas si lointains où les idées tenaient lieu de preuves et où les émotions avaient force de loi. Comme médecin généraliste, au cours de ces 3 dernières années, nous avons tous rencontré des patients convertis à la “religion anti” concernant le covid et nous sommes restés incrédules devant la caution que des médecins et des scientifiques apportaient à leurs arguments.

Face aux arguments passionnels, toujours nous privilégierons les arguments rationnels.

Bien entendu, aucun scientifique honnĂŞte ne pourrait affirmer mordicus que dans 10 ans aucun effet regrettable n’aurait lieu Ă  la suite de l’administration du vaccin ARN (mĂŞme si ce vaccin ne rĂ©siste que quelques heures dans la circulation sanguine). De lĂ  Ă  prophĂ©tiser avec une conviction absolue des dĂ©sastres planĂ©taires Ă  venir… Paco Rabanne (1934-2023) avait prĂ©vu la disparition de Paris le 11 aoĂ»t 1999, dĂ©truite par le crash de la station Mir et, mĂŞme si ces prĂ©dictions Ă©taient sans fondement, ce n’est que le 12 aoĂ»t 1999 qu’on en a eu la preuve incontestable.

Se bloquer sur une opinion sans la faire évoluer, rester sourd aux faits et arguments qui peuvent la contredire ou simplement la mettre en doute, n’entendre que les raisonnements qui renforcent cette opinion, ne voir que les faits qui vont dans son sens et rejeter toute critique, disqualifier tout ce qui ne la conforte pas et prendre les opportunités de discussion rationnelle non pas comme un outil pour faire progresser cette opinion mais comme un champ de bataille où il s’agit de dézinguer tout qui pense autrement, c’est ce qu’on appelle le biais cognitif, une pratique courante dans les repas de famille ou au café du commerce. Le problème est qu’actuellement ce café du commerce, enserré dans la toile internet, s’étend sur 40.000 kilomètres de diamètre. Vous avez certainement fait l’expérience d’entrer dans un forum de discussion et d’en sortir dégouté par les propos excessifs et les jugements dévalorisants. La conviction “bloquée” est tellement profonde que si vous osez émettre des objections, c’est que vous êtes idiot, ou acheté, “aux ordres” ou complice.

Malgré ce contexte délétère, le débat de l’Ordre des médecins fut instructif et nuancé, on y entendit que certaines mesures prises étaient inutiles ou disproportionnées, que la vaccination obligatoire, en particulier pour les moins de 45 ans sans risques spécifiques ou le personnel soignant n’était plus judicieuse car elle n’a pas d’impact sur la transmission de la maladie, ce qui n’était pas le cas avant les mutations Omicron et Delta pour lesquels les premiers vaccins avaient un effet.

Car les orateurs ont fait preuve de nuances, indispensable à la tenue d’un débat de haute qualité. Même celui chargé de présenter les objections a fait preuve de retenue, y compris quand une de ses principales objections s’est vue facilement réfutée. Dans la salle, ce sont presque uniquement les opposants qui ont fait entendre leur voix et leurs “questions” qui n’en étaient pas, ce n’étaient que des prises de paroles destinées à marteler leur opposition, des discours chaleureusement applaudis par leur claque. Un moment, la salle se divisa en pro et contra et je choisis de ne pas ajouter une opinion personnelle dans une salle qui ressemblait à un chaudron ou à ces forums en ligne dans lesquels les opinions les plus excessives finissent par étouffer toute critique.

Bien entendu, entre eux, tous ces croyants en une vĂ©ritĂ© alternative sont loin de partager les mĂŞmes convictions et leur unitĂ© de façade volerait en Ă©clat s’ils devaient se retrouver au centre des dĂ©cisions. Leur cohĂ©sion doit sa soliditĂ© Ă  une volontĂ© unifiĂ©e de contester un pouvoir en place. Beaucoup d’entre eux commencent leurs phrases par « je ne suis pas complotiste mais ». Ce “mais” pourrit Ă©videmment tout ce qui va suivre. Il est peu probable que parmi ces contradicteurs, beaucoup d’entre eux croient Ă  un complot mondial organisĂ© par des hommes-serpents, et pourtant mĂŞme cela se retrouve chez les tenants de la vĂ©ritĂ© alternative.

Moralité

Ce débat a eu le mérite d’exister, il a permis d’exprimer beaucoup de nuance dans le bilan sur les mesures prises pendant la pandémie, il a permis de tracer les contours de ce que devrait être notre attitude face à une nouvelle menace qui pèserait de manière globale sur la santé publique. Notre syndicat cultive le débat et la nuance, nous avons en notre organe d’administration des médecins d’horizons différents, conventionnés ou non, en solo, en groupe et en maison médicale. Nous ne sommes l’appendice d’aucun parti politique, contrairement à ce que n’hésitent pas à prétendre certains de nos adversaires qui, au lieu d’argumenter rationnellement, préfèrent nous coller des étiquettes. Face aux arguments passionnels, toujours nous privilégierons les arguments rationnels.

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Dr Lawrence Cuvelier