
NON, « SOLIDARITÉ » N’EST PAS UN GROS MOT !
Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier, vice-président du GBO, publié le 26/08/2022
Face au concept de solidarité que certains trouvent ringard, le mot d’ordre de l’intérêt individuel a le vent en poupe. Où le « Chacun pour soi » sonne comme la consigne ultime lors des naufrages.
Comment se sucrer avec de l’insuline !
Il est difficile de rester indifférent à certaines pratiques des firmes pharmaceutiques. Un éditorial récent du New England à propos des insulines basales a de quoi donner des frissons sur les pratiques monopolistiques dans un marché libéral [1]. Le gouvernement américain a promulgué une loi permettant la substitution de médicaments biosimilaires et, dans ce cadre, une firme a mis sur le marché le Semglee, un médicament biosimilaire pour l’insuline glargine (Lantus) [2]. Là où les choses deviennent délirantes, c’est que le prix proposé pour trois stylos préremplis est à peine 5% moins cher que l’original. Les explications sont multiples, mais ce sont principalement les assurances et les intermédiaires qui tirent avantage d’un coût élevé. Le patient assuré ne paie pas directement cette somme, mais le prix des assurances médicales est fort élevé (pour, soit dit en passant, un résultat très médiocre en termes de santé publique). Face à cette pratique scandaleuse, un conglomérat d’universités nommé Civica s’est mis en place pour développer des médicaments dans une optique de non-profit. Elles ont déjà produit des dizaines de médicaments orphelins dont le coût de production était ridicule alors que le prix de vente antérieur était parfois multiplié par 20.
Dans toute cette problématique, il est important de ne pas perdre de vue l’accompagnement des soins de première ligne qui demeurent un acteur de terrain essentiel.
Haro sur les pauvres et sur les corps intermédiaires
Cet exemple illustre bien la différence entre un système de santé basé sur l’assurance de santé individuelle et un système de type mutuelle où les risques de santé sont partagés par tous, sans distinction, et non par une sélection de « bons » clients qui ne risquent pas de tomber malades trop vite. La gestion solidaire des problèmes de santé permet de soigner aussi bien les plus faibles que les plus favorisés. Malgré cela, dans notre période d’individualisme exacerbé, il semble ne plus y avoir de honte à tenir des discours moralisateurs vantant « le mérite » et recommandant de ne plus dépenser d’argent pour les « plus pauvres, les mendiants et les paresseux ». Dans le même ordre d’idées (“fini de payer pour les fainéants et les profiteurs du sud du pays”), certains partis du Nord du pays voient d’un bon œil la perspective d’une rupture de la solidarité fédérale en matière de politique de santé. On a d’ailleurs bien vu que, lors de la crise Covid, une gestion au niveau fédéral était incontournable. Mais qu’à cela ne tienne, voilà qui n’arrête pas de nombreux interlocuteurs dans leur rêve de détruire le modèle actuel, sans même épargner les mutuelles et les syndicats. Alors que les grandes mutuelles, notamment chrétiennes et socialistes, ont toujours eu des liens étroits avec les partis politiques de même tendance, la suppression des mutuelles est aujourd’hui dans le programme de certains partis politiques. Quant aux syndicats médicaux, ils sont régulièrement attaqués pour leur faible légitimité aux yeux de quelques décideurs qui arguent de la faible participation aux élections syndicales (particulièrement dans les rangs des médecins spécialistes) et du vieillissement de nos représentants.
Organiser la résistance
En ce qui concerne le prix des médicaments et leur distribution, notre pays se trouve dans une position inconfortable. Bien que la Belgique soit un gros producteur de médicament et en particulier l’usine à vaccin du monde, nos gouvernants se trouvent en position de faiblesse face aux firmes pharmaceutiques. Celles-ci considèrent notre marché comme trop petit, ce qui explique pourquoi la commercialisation des produits trop bon marché s’arrête brutalement, pourquoi aussi des quotas trop bas dévolus au pays font que régulièrement des patients nous reviennent en disant que le produit est manquant.
L’exemple de la négociation européenne sur le prix des vaccins contre le Covid a pourtant démontré l’efficacité des politiques supranationales quand les enjeux dépassent la capacité d’un seul état. Cet antécédent devrait inciter nos responsables politiques à travailler ensemble afin de négocier des prix raisonnables pour de nouveaux médicaments et le maintien sur le marché d’anciens médicaments peu chers mais efficaces. Cela pourrait se faire via des consortiums de même nature que ceux mis au point aux USA. Plus en amont, il est de la plus haute priorité de mettre fin à la privatisation des découvertes faites par les universités (au terme de recherches financées par le public) qui passent aux mains d’investisseurs privés pour la commercialisation (et les profits). Faute de quoi, nous continuerons à avoir des relations malsaines avec des firmes qui sont pourtant des partenaires incontournables et efficaces dans le domaine de la santé.
Enfin, dans toute cette problématique qui semble voler très haut, il est important de ne pas perdre de vue l’accompagnement des soins de première ligne qui demeurent un acteur de terrain essentiel.
Dr Lawrence Cuvelier
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[1] NEJM June 9,2022 ,a radical treatment for insulin pricing, Leemore S; Dafny Vol 386 N°23 p 2157_ 2159
[2] L’insuline glargine, commercialisée en Europe (Lantus) au prix moyen de 27,18 € (1 flacon de 10 ml) ou 40,25 € (5 stylos d’injection pré-rempli de 3 ml), soit 4 fois moins cher que le Semglee commercialisé aux États-Unis (jusqu’en 2021) à $98.65 (flacon de 10 ml) ou $147.98 (5 stylos d’injection pré-rempli de 3 ml).