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Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier, président du GBO/Cartel, publié le 18/09/2024.
Les billets repris dans la rubrique « Grains à moudre » témoignent des opinions personnelles de leur auteur (et n’engagent que lui), sans nécessairement refléter la position du GBO/Cartel.
« La dernière distinction entre les cerveaux philosophiques et les autres, ce serait que les premiers veulent être justes tandis que les seconds veulent être juges. »
Nietzsche, Humain trop humain
Récemment, j’ai entendu l’interview d’un syndicaliste français, ouvrier métallurgiste, qui avait négocié le sauvetage des usines ArcelorMittal. Le brave homme s’était donné corps et âme pour sauver ce qui était voué à la disparition et n’a évidemment obtenu que des clopinettes : David vainqueur de Goliath, c’est dans la Bible, pas dans les traités d’économie. Mais cet échec n’était pas sa pire déception, il ne regrettait ni les combats menés, ni les nuits blanches, ni ses espoirs déçus et avec eux ceux de milliers de travailleurs. Non, sa plus grande déception, c’était le mépris et la haine de ceux qu’il avait défendu, y compris de proches. Pendant que direction et actionnaires dormaient sur leurs deux oreilles après la liquidation des usines, il était devenu la cible de la vindicte populaire, considéré comme un traître et un homme abject, comme s’il était responsable de la disparition des emplois. Et pas seulement lui, mais aussi sa femme et sa fille.
Une telle dérive n’est pas exceptionnelle. Bien sûr, là les enjeux étaient internationaux, aux mains d’actionnaires anonymes impersonnels inaccessibles tapis derrière leurs écrans, alors faute de pouvoir les atteindre, on ne pouvait cracher que sur ceux qui étaient à portée de crachat…
« Nous aimerions combler les rêves les plus fous mais nous ne pouvons défendre que les projets qui ont un avenir et qui permettent de prodiguer les meilleurs soins au meilleur endroit »
Travail de fourmi – café du commerce : 0-1 ?
Certes, la déception peut expliquer des réactions irrationnelles, mais médisance et agressivité peuvent s’épanouir en toutes circonstances, fussent-elles sans conséquences fâcheuses, tant il est aisé et gratifiant de se complaire dans les idées simplistes, les indignations faciles et les jugements sommaires. Pour s’adonner aux soupçons perfides sous couvert de jugement de valeur, tout fait farine au moulin.
Dans la vague de populisme actuelle, boostée par les réseaux sociaux, le travail de fourmi des corps intermédiaires est souvent dévalorisé. Peu importent les soirées et les nuits consacrées à étudier des dossiers, à se creuser les méninges pour déceler toutes les implications des mesures projetées, à élaborer des solutions respectueuses de tous, ce travail est régulièrement sanctionné au café du commerce par des “il n’y a qu’à” ou des « faut qu’on”. Pourtant, quand on invite ces aimables conseilleurs à prendre un dossier en main, bien des voix se taisent.
Zut, encore ce principe de réalité !
Je parle d’expérience. Cheville ouvrière des cercles de médecins, membre du bureau du conseil fédéral des cercles (un organe fédéral gommé par la sixième réforme de l’État ) où nous arbitrions des situations complexes telles que celles posées aux cercles par les primes Impulseo et les postes de garde, membre encore d’un organe de concertation au sein de l’INAMI (lui aussi supprimé de nombreuses années et récemment réactivé) où nous construisons des solutions concrètes pour les problèmes que pose la garde à l’ensemble des généralistes du pays. (PS : C’est fou ce qu’on flingue d’organes dans ce pays). (PS 2 : Bon, d’accord, j’arrête de faire mon Ancien Combattant) (PS 3 : D’ailleurs, comme dit François Cheng dans sa quatrième méditation sur la beauté : « La lumière n’est belle que si elle est incarnée ».)
On n’est pas sourd, nous entendons clairement les “il n’y a cas” et “il faut qu’on” dont bruissent les PC. Dans notre démocratie, les interlocuteurs ont tous leur légitimité … et des points de vue différents. Mais les budgets ne sont pas illimités. Difficile d’échapper au principe de réalité dans un pays au déficit abyssal (l’argent public, c’est aussi celui de chacun !). Nous aimerions combler les rêves les plus fous mais nous ne pouvons défendre que les projets qui ont un avenir et qui permettent de prodiguer les meilleurs soins au meilleur endroit. Tous ceux qui veulent se battre avec nous pour notre profession sont les bienvenus au syndicat.