MOTS QUI SAUVENT, MOTS QUI TUENT
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Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier, Vice-PrĂ©sident du GBO/Cartel, publiĂ© le 14/04/2023.
Empathie ou assertivité ? Une même information peut entraîner des suites très différentes selon la manière dont on elle est donnée.
Les études les plus récentes sur les cancers de la prostate montrent qu’une proportion importante de ceux-ci n’ont aucun avantage à se faire opérer. Pour environ 40 % des cancers, le devenir et en particulier la mortalité ne changent pas, que l’on soit opéré ou non. Par contre, la façon de prendre en charge le dépistage et le suivi est capitale pour éviter des interventions inutiles et traumatisantes, souvent causes de problèmes sexuels qui peuvent se compliquer de troubles anxieux et dépressifs. En effet, si un patient se voit annoncer qu’il a un cancer de la prostate sans recevoir une information correcte, il va vouloir se faire opérer à tout prix et, si l’hôpital dans lequel travaille l’urologue pousse à faire du chiffre, on se trouve dans une conjonction perverse. Gérée comme une entreprise, toujours au bord de la faillite, l’institution hospitalière n’a que faire d’impératifs de santé publique, et le patient en état de stress majeur va voir en l’opération son unique chance de se défaire de cet hôte malfaisant. Dans ces conditions, difficile d’adopter une attitude rationnelle et de faire comprendre que cette maladie fréquente est une cause rare de mortalité. En Angleterre, les autorités sanitaires ont choisi pour gérer cette situation de déléguer des infirmières spécialisées qui n’avait pas de conflit d’intérêt.
Dans notre pays, il y a un libre choix du patient mais aussi du thérapeute dans la relation thérapeutique. Si le lien se noue dans la confiance, l’adhésion thérapeutique sera bonne et les résultats seront meilleurs même si la qualité du traitement n’est pas cliniquement prouvée (EBM).
On trouve le même type de situation dans d’autres domaines médicaux, en particulier en orthopédie. Nous connaissons tous des patients incontrôlables qui n’acceptent pas le refus d’opérer opposé par un chirurgien consciencieux et vont frapper à la porte de tous les spécialistes jusqu’à ce qu’ils trouvent « le » bon qui accepte d’intervenir. Face à l’honnêteté, c’est parfois l’aventurisme qui a le dernier mot. Le propos est ici de considérer l’annonce et comment on reçoit la vérité.
« Les mots comme des filets à papillon pour nos causes perdues » (Antoine Wauters, Mahmoud ou la montée des eaux)
Les exemples précédents montrent qu’entre un diagnostic et un patient interfèrent beaucoup de facteurs qui peuvent avoir des conséquences délétères. Parmi ceux qui altèrent la communication, il y a l’état de stress engendré par une maladie et l’annonce de celle-ci, il y a également l’inégalité face à l’information, ces murs qui s’interposent entre ce qui est signifié et ce qui est compris. Certaines informations peuvent toucher à l’intime sans que le patient en ait nécessairement conscience. Un médecin va voir son père hospitalisé, sur son lit est affiché son groupe sanguin et le médecin comprend qu’il y a un problème de filiation. Nous sommes bien placés pour savoir que certaines informations peuvent provoquer des dégâts importants si elles ne sont pas utilisées avec précaution.
Notre communication se fait en fonction de notre personnalité et celle du patient. Dans notre pays, il y a un libre choix du patient mais aussi du thérapeute dans la relation thérapeutique. Si le lien se noue dans la confiance, l’adhésion thérapeutique sera bonne et les résultats seront meilleurs même si la qualité du traitement n’est pas cliniquement prouvée (EBM). Certains médecins seront assertifs et leur assurance donnera confiance au patient, d’autres adopteront une attitude de dialogue dans laquelle la décision est partagée. Je préfère pour ma part laisser la porte ouverte à une éventuelle complication en priant le patient de me recontacter si tout ne se passe pas comme attendu.
Certaines personnes se proclament franches et s’en prévalent, d’autres préfèrent ménager leurs interlocuteurs. Ils sont nombreux les exemples de praticiens qui ont « dit la vérité » de manière brutale et ont créé des traumatismes. Une patiente qui s’est vu infliger un « vous n’avez plus que trois mois à vivre” en est toujours traumatisée 20 ans plus tard. Nous voyons à l’instar d’Yves Duteil que ce n’est pas ce que l’on fait qui compte, c’est l’histoire, et que le récit fait en tenant compte de l’interlocuteur n’a rien à faire avec un quelconque paternalisme, mais avec la richesse d’une rencontre qui n’est de toute façon pas égalitaire mais qui se doit d’être équitable.
Avoir raison ou trouver la meilleure solution ?
Il en est de même dans des réunions où l’enjeu est de trouver les meilleures solutions pour les soins du patient. Certains interlocuteurs champions de la franchise louent leurs propres mérites pour mieux fustiger les prétendus hypocrites. Devant le mépris qu’ils affichent, leurs interlocuteurs ferment la bouche, médusés par l’arrogance et ne voulant pas tomber dans le piège de la dispute de chiffonnier dans laquelle les arguments émotionnels prennent le dessus, ou en termes moins choisis, en jouant au plus con, on est sûr de perdre. Dans ma vie, j’ai eu affaire à des attributions essentialistes fumeuses (on vous classe dans telle catégorie sociale, ethnique ou idéologique pour vous donner le droit de vous taire). Étudiant, je me suis fait qualifier de gauchiste et plus tard, quand j’ai critiqué un mandataire socialiste, je me suis fait traité de rexiste, il faudrait savoir !