Modification de la Loi sur les droits du patient : quel impact sur votre pratique ?

Flash-info 24/24, publié le 08/03/2024

Si la Loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient était certainement innovante pour l’époque, il était nécessaire de la revoir en profondeur pour mieux s’accorder à une société et des soins de santé qui, en plus de 20 ans, ont beaucoup évolué. C’est chose faite puisque la modification de cette Loi a été promulguée ce 6 février 2024 et est entrée en vigueur ce 4 mars.

Pour le Ministre Vandenbroucke, instigateur de ce projet, « Ce projet s’inscrit dans une vision moderne des soins de santé, selon laquelle les prestataires de soins doivent prendre les souhaits et attentes de leurs patients en compte dans le choix du traitement ou d’un examen : c’est aussi un droit du patient. Dans la même optique, la possibilité de planification préalable des soins est également inscrite dans la loi. »

En quoi consistaient jusqu’ici les droits du patient ?

Inscrits dans la loi du 22 août 2002, les droits du patient reposaient jusqu’ici sur 7 principes ayant pour objectif de le mettre au centre des préoccupations de chaque prestataire de soins :

  1. Droit à des prestations de qualité,
  2. Droit au libre choix du dispensateur de soins,
  3. Droit à toutes les informations sur son état de santé,
  4. Droit au consentement libre et éclairé,
  5. Droit à un dossier de patient tenu soigneusement et conservé en toute sécurité,
  6. Droit à la protection de sa vie privée et de son intimité,
  7. Droit d’introduire une plainte si ses droits du patient n’ont pas été suffisamment respectés.

En outre, le notion de représentation était déjà présente : les droits du patient majeur pouvaient être exercés par ‘la personne, que le patient aura préalablement désignée pour se substituer à lui pour autant et aussi longtemps qu’il n’est pas en mesure d’exercer ces droits lui-même’. Les droits du patient mineur pouvaient quant à eux être exercés par ‘les parents exerçant l’autorité sur le mineur ou par son tuteur’ ou ‘suivant son âge et sa maturité’, être exercés de manière autonome s’il est estimé apte à apprécier raisonnablement ses intérêts.

En quoi consiste cette modernisation et qu’implique-t-elle pour le patient … et pour le médecin ?

Cette loi s’articule désormais autour de 3 grands axes : dans l’intérêt du patient, avec le patient et par le patient. Voici, dans les grands lignes et de manière non exhaustive, ce que cela implique dans votre pratique quotidienne :

1. Les droits du patient dans l’intérêt du patient

Ce 1er axe de la réforme a pour objectif de renforcer l’approche centrée sur le patient, qui est désormais amené à s’impliquer plus activement dans sa prise en charge médicale.

En tant que prestataire de soins, vous devrez donc, dans le cadre de votre liberté thérapeutique, établir une véritable concertation avec votre patient, en vous informant de sa situation, de ses préférences en matière de soins actuels et à venir, des objectifs et valeurs qu’il exprime. L’objectif est d’arriver à une décision conjointe quant à sa prise en charge thérapeutique et de mettre un cadre juridique à la collaboration entre patient et prestataire de soins, cette interaction étant indispensable pour permettre des soins de santé de qualité.

Cette volonté d’impliquer le patient se retrouve également dans l’introduction des concepts de ‘planification anticipée des soins’ et de ‘déclaration anticipée’, qui permettent au patient majeur incapable, de se faire davantage entendre dans la prise de décision et d’exprimer sa volonté (directement ou via son représentant) :

  • La planification anticipée des soins vise à mettre en place un ‘processus continu de réflexion et de communication entre le patient, le(s) professionnel(s) des soins de santé et, à la demande du patient, les proches dans le but de discuter des valeurs, des objectifs de vie et des préférences en matière de soins actuels et futurs’.
  • La déclaration anticipée permet quant à elle au patient d’exprimer ses préférences qui resteront valables quand il ne sera plus capable de les exprimer. Pour ce faire, il doit consigner ses volontés par écrit (sur support papier ou par voie électronique) et ‘sans préjudice de l’article 4 de la loi Qualité, le professionnel des soins de santé tient compte d’une déclaration anticipée’.

2. Les droits du patient avec le patient

Si les objectifs de vie du patient occupent une place centrale dans la nouvelle loi, celle-ci accorde également plus d’attention aux rôles de la personne de confiance (qui assiste le patient dans l’exercice de ses droits, la portée de ses compétences et de son implication étant déterminée par le patient) et du représentant du patient (qui est amené à exercer les droits du patient quand celui-ci n’est pas/plus en mesure de les exercer lui-même et ce, ‘dans l’intérêt du patient et conformément aux valeurs, aux préférences en matière de soins actuels et futurs et aux objectifs de vie exprimés par le patient’).

L’identité des personnes assurant ces rôles et la portée de leurs compétences peuvent désormais être communiquées par le patient par voie électronique. Ces informations doivent être consignée dans le dossier du patient afin que le prestataire de soins puisse les consulter le cas échéant (à la demande du patient pour la concertation avec les personnes de confiance, à l’initiative du médecin pour la consultation du représentant du patient dans le cas où le celui-ci ne serait pas/plus capable d’exercer lui-même ses droits).

Notez que le représentant du patient majeur pourra également exercer tous les droits du patient, y compris demander à consulter son dossier médical et à obtenir une copie de celui-ci. Il en va de même pour le représentant légal (et les parents du patient jusqu’au 2e degré, pour autant que leur demande soit suffisamment motivée et spécifiée) d’un patient mineur décédé.

3. Les droits du patient par le patient

Cette nouvelle Loi veut augmenter la transparence vis-à-vis du patient, à aider ce dernier à prendre le contrôle sur les soins qui lui sont prodigués. C’est ici qu’interviennent donc le droit à l’information et les modalités de communication de ces informations. À cet égard, notons plusieurs changements :

  • Ainsi, ‘à la demande du patient, le professionnel des soins de santé informe le patient de sa compétence et de son expérience professionnelles.’ dans le but de lui permettre de choisir un prestataire avec plus de finesse.
  • De même, dans un souci de qualité, le professionnel des soins de santé est tenu de prendre ‘le temps suffisant’ pour communiquer au patient, d’une manière adaptée à celui-ci, toutes les informations nécessaires pour comprendre son état de santé et son évolution probable. ‘Sur demande ou s’il le juge pertinent pour le patient, il fournit en outre par écrit, soit par un support papier, ou sous forme électronique les informations’ nécessaires.
  • Si la possibilité de décider de ne pas divulguer ces informations au patient est maintenue pour le médecin (toujours à condition d’avoir consulté à ce sujet un autre professionnel des soins de santé), votre obligation d’informer le patient s’assortit maintenant d’une notion de communication graduelle:‘Si le professionnel des soins de santé estime que la communication de toutes les informations causerait manifestement un préjudice grave à la santé du patient, le professionnel des soins de santé s’emploie à examiner si les informations visées peuvent être communiquées graduellement’. Il vous revient ensuite de vérifier à intervalles réguliers si le préjudice manifestement grave est encore présent et, dans le cas contraire, de communiquer les informations au patient.
    Notez que tant la non-communication que la communication graduelle doivent être consignées par écrit dans le dossier médical du patient.

Cette nouvelle Loi apporte également de nouvelles précisions par rapport au dossier médical :

  • À la demande du patient, vous êtes tenu d’ajouter à son dossier les documents fournis par ses soins, ‘en particulier en ce qui concerne les valeurs, les objectifs de vie et les préférences en matière de soins actuels et futurs et les déclarations anticipées du patient’.
  • Outre le droit de consulter son dossier médical (et d’en demander une copie), ‘le patient a le droit de recevoir des explications sur le contenu du dossier le concernant’. Notez que la copie du dossier médical peut désormais être demandée sur papier ou support électronique. Seule la 1re copie doit être fournie gratuitement, toute copie supplémentaire pouvant faire l’objet de frais administratifs ‘raisonnables et justifiés’ et ne devra ‘pas excéder le coût réel’.
  • Les annotations personnelles d’un professionnel des soins de santé ne sont plus exclues de ce droit de consultation par le patient, seules les données concernant des tiers restent exclues. Le patient peut donc désormais avoir accès à vos annotations personnelles figurant dans son dossier médical, seules ‘les données concernant des tiers n’entrent pas dans le cadre de ce droit de consultation’.
  • La nouvelle Loi prévoit également (sans qu’une date ait été fixée à ce jour pour l’entrée en vigueur de cette disposition) que le patient aura la ‘possibilité d’un accès électronique à ses données de santé’ via des ‘plates-formes de données de santé mises à disposition ou validées par les autorités publiques.’
Et pour conclure : qu’en est-il des devoirs des patients ?

Si l’on peut se réjouir d’une évolution de la Loi sur les droits du patient qui permette aux patients d’exercer leur autodétermination, le GBO/Cartel attire l’attention du législateur sur le risque d’une prédominance du droit des patients par rapport à leurs devoirs dans cette mouture actuelle et craint que ce déséquilibre ne régisse à l’avenir la relation patient/médecin. Définir explicitement les responsabilités qu’engendrent l’exercice nouveau des droits obtenus est essentiel. Qu’en est-il de la responsabilité des patients quant aux conséquences médicales de leur silence au sujet de certaines données utiles au diagnostic, qu’en est-il de leur responsabilité quant aux conséquences médicales d’une non consultation du médecin, par exemple pour la communication de résultats : nous connaissons tous ce réflexe aujourd’hui fréquent : « mon médecin me téléphonera bien si les résultats sont problématiques ». La charge de la responsabilité semble encore et toujours totalement aux mains des médecins, malgré les droits grandissant des patients.

Par ailleurs, qu’en est-il de la confidentialité des notes personnelles du médecin, qui s’interroge, suppute, énonce divers diagnostics possibles, qualifie une attitude psychologique pas toujours utile à révéler qui figerait le patient dans un diagnostic restrictif à un moment donné ?
Ce déséquilibre entre droits et devoirs des patients et entre responsabilité des patients et des prestataires entraînera à coup sûr chez les médecins des difficultés dans la pratique quotidienne, voire même le risque d’une médecine défensive. Le risque de constituer un dossier annexe « clandestin » pour compiler ses annotations personnelles existe. Cela créera à coup sûr une surcharge de travail.

Force est de constater que de nombreux médecins rencontrent de plus en plus de patients exprimant leurs revendications, souvent légitimes, mais malheureusement assorties d’agressivité, voire même de violence physique ou verbale. Si l’article 4 de cette mouture 2024 de la Loi[i] tend à introduire une notion de réciprocité dans la relation patient/médecin, le devoir du patient de respecter le médecin (et sa liberté thérapeutique) dans un partenariat mutuellement respectueux ne nous semble pas suffisamment explicité. Le GBO/Cartel s’interroge donc sur la manière dont nos autorités envisagent de soutenir les médecins face aux patients exprimant leurs exigences de manière de plus en plus revendicatrice et assertive …

Or, nous ne sommes pas sans savoir que l’interaction participative dans les relations thérapeutiques prend plus de temps – temps si peu valorisé par la nomenclature actuelle -, est plus difficile à assumer et la souffrance du soignant menace plus volontiers. La difficulté majeure dans la négociation de rester ferme, capable de résister aux pressions, quelles qu’elles soient, d’où qu’elles viennent est ici bien minimisée. Nous connaissons cette difficulté particulièrement lors du refus de prescriptions d’antibiotiques ou de rédaction de certificats médicaux.

[i] Art. 4. § 1er. Le professionnel des soins de santé et le patient contribuent ensemble à la prestation optimale de soins de santé au patient. § 2. Le patient et le professionnel des soins de santé se comportent avec respect dans leurs relations mutuelles, avec les autres patients et les autres professionnels des soins de santé.