Flash-info 110/22, publié le 22/12/2022
Modalités d’octroi du budget de 100 millions d’euros dégagé sous forme de prime récurrente en faveur des seuls prestataires conventionnés :
pourquoi le GBO/Cartel s’est-il abstenu ?
Dans nos Flash-infos du 03/10/2022 (Le GBO/Cartel s’est fermement opposé à la proposition de budget soins de santé 2023) et du 24/10/2022 (Budget soins de santé 2023 : état des lieux et décodage), nous vous avions fait part de la ferme opposition du GBO/Cartel à la proposition de budget adoptée par le Comité de l‘assurance soins de santé de l’INAMI (où se retrouvent les prestataires et les mutuelles) de réserver un budget de 100 millions d’euros pour l’octroi d’une prime (alors présentée comme prime unique) pour les seuls prestataires totalement conventionnés.
Une décision politique imposée le Gouvernement
Cette mesure, soufflée très fort par le politique aux mutuelles (d’où son approbation au Comité de l’assurance du 3 octobre dernier), est en fait une décision politique : le Ministre Vandenbroucke l’a d’ailleurs expressément reprise dans les termes suivants dans sa « Note de Politique générale » présentée au Parlement en novembre dernier :
« 100 millions sont donc libérés pour une compensation structurelle des coûts pour les prestataires entièrement conventionnés (compensation de l’augmentation des coûts de fonctionnement), conformément à la proposition du Comité de l’assurance. Toujours en gardant à l’esprit les priorités que sont la “protection du patient” et l’“efficacité”, nous assortissons ce soutien des conditions suivantes :
- nous ciblons le soutien sur les prestataires entièrement conventionnés;
- nous demandons des progrès suffisants en matière d’“appropriate care”[1];
- et nous réservons l’octroi aux secteurs qui utilisent la masse d’index en partie de manière sélective.»
Cette décision politique a été bétonnée dans le cadre de l’adoption du Budget soins de santé 2023 par le Conseil général de l’INAMI le 17 octobre dernier : rappelons que si les mutuelles y ont voix délibérative, les prestataires n’y ont qu’une fois consultative et, dans tous les cas, la délégation du Gouvernement a un droit de veto dès qu’il s’agit d’une décision à portée budgétaire. En d’autres mots, le Gouvernement y impose ce qu’il veut.
Une mesure discriminante qui ignore les causes profondes du déconventionnement
Dès qu’il a eu connaissance de cette mesure, le GBO/Cartel a fait connaître son opposition en précisant que :
- S’il n’était certainement pas contre le principe (le GBO/Cartel s’est toujours engagé en faveur du conventionnement), il estimait que les modalités d’application auraient des effets contraires à ceux espérés par le Comité de l’assurance (et maintenant le Gouvernement). En effet, ces 100 millions d’euros créent une discrimination, ne motiveront certainement pas les non-conventionnés à se conventionner (puisqu’ils auront été victimes de cette discrimination) et n’iront pas nécessairement là où les besoins sont les plus importants[i].
- Il n’y a aucune raison de lier cette mesure aux appropriate care: le groupe-cible n’est pas le même car les appropriate care concernent tous les prestataires et pas seulement ceux qui sont entièrement conventionnés. Lier l’octroi de la prime aux appropriate care n’a donc aucun sens.
En résumé, cette mesure ignore complètement les causes profondes du déconventionnement, à savoir un honoraire largement insuffisant pour la plupart des prestataires, et n’apporte donc aucune solution à la nécessité, pour bon nombre d’entre eux, de devoir facturer des suppléments d’honoraires pour couvrir les frais liés à leur pratique.
Autre hypocrisie du système : un généraliste qui arrondissait à 30 euros sa consultation jusqu’à ce jour aurait été exclu de la mesure alors qu’en facturant les mêmes 30 euros à partir du 1er janvier, il deviendra soudainement vertueux (grâce à l’action des syndicats, et du GBO/Cartel en particulier, pour obtenir enfin une consultation à 30 euros).
Fondamentalement, il eut été préférable et surtout plus sage d’utiliser ces 100 millions d’euros à une revalorisation globale de tous les honoraires, et ce afin d’anticiper (partiellement) la prochaine indexation, tout en s’attaquant parallèlement à réduire les causes d’un trop important déconventionnement à certains endroits et surtout dans certaines spécialités.
Enfin, et de plus, des mesures en faveur des médecins conventionnés doivent impérativement faire l’objet d’une concertation avec les syndicats, ce qui n’a pas été le cas (le point a été agendé à une médico-mut mais n’a pas fait l’objet de débat).
Des discussions difficiles pour déterminer les modalités d’octroi de ces primes … et leur vérification
Depuis lors, des discussions, difficiles, se sont déroulées au sein du Comité de l’assurance de l’INAMI, pour fixer les modalités d’attribution. Dans ce cadre, le but du GBO/Cartel était de « sauver les meubles » au maximum en essayant d’adoucir tant que faire se peut les modalités d’application de cette mesure à laquelle nous nous sommes fondamentalement opposé.
Ces discussions ont porté d’une part sur les conditions requises pour que la prime soit octroyée au sein d’un secteur (1) et d’autre part sur la répartition de l’enveloppe entre les secteurs (2).
(1) Conditions d’octroi de ces primes
Comme précisé supra, l’octroi de ces primes est subordonné à 2 conditions qui doivent être remplies par les secteurs concernés, à savoir :
- Faire des progrès dans les travaux relatifs à l’Appropriate Care (AC)
- Veiller à une allocation partielle sélective de la masse d’index.
Comment cela sera-t-il vérifié pour le secteur des médecins ?
Pour la première condition, il est attendu de chaque secteur (et donc de la médico-mut) :
- Qu’il s’implique dans l’exercice visant à analyser au sein du secteur les causes de l’éventuel dépassement budgétaire et à transmettre un rapport sur ce plan à la Commission de contrôle budgétaire de l’INAMI pour le 30 janvier 2024,
- Qu’il s’engage à collaborer activement à réaliser les objectifs AC de leur secteur,
- Qu’il s’inscrive dans un processus afin de réaliser pour le secteur les objectifs AC précédemment fixés.
Pour la seconde condition, il fallait décider de l’allocation de la masse d’index : cette condition a déjà été remplie pour notre secteur (en médico-mut : pour rappel, une indexation linéaire de 7,11% est octroyée et le solde disponible de la masse d’index a servi a revalorisé certaines prestations ; pour la médecine générale elle a essentiellement servi à atteindre les 30 euros pour les consultations, cf. notre Flash-info 106/22 du 15/12/2022).
(2) Répartition du budget de 100 millions d’euros entre tous les prestataires (pas seulement les médecins)
En ce qui concerne la répartition du budget de 100 millions d’euros, rappelons tout d’abord qu’au Comité de l’assurance de l’INAMI tous les secteurs sont représentés et que cette mesure vise tous les prestataires et pas seulement les médecins : fallait-il dès lors tenir compte du nombre total de dispensateurs de soins par secteur ou seulement du nombre de prestataires entièrement conventionnés par secteur ? Il a finalement été opté pour une répartition de l’enveloppe entre les secteurs, basée pour moitié sur le nombre de prestataires au sein du secteur, et pour l’autre moitié, sur le nombre de dispensateurs (entièrement) conventionnés au sein du secteur.
La répartition ainsi calculée donne un budget de 33.121.895,62 euros pour les médecins (soit 33,12% du budget total de 100 millions d’euros). Seuls 30.879 médecins sur 45.502 sont concernés car il faut être entièrement conventionné pendant toute l’année concernée[ii] et atteindre un seuil d’activité minimum[iii].
Compte tenu de 30.879 médecins et du budget de 33.121.895,62 euros, cela donne une prime (brute, car soumise à l’impôt), de 1.072,63 € par médecin. Attention, ce montant est le résultat d’une simulation basée sur les chiffres de 2022 : ce montant est donc purement indicatif et le montant définitif qui sera calculé sur les données de 2023 sera différent mais dans un ordre de grandeur similaire.
Ces primes seront versées automatiquement sur le compte des médecins concernés dans le courant de l’année 2023, « dans la mesure du possible ». Il sera simplement demandé aux dispensateurs de soins bénéficiant de la prime sur quel numéro de compte la prime peut être versée.
Le Cartel avait clairement exprimé son opposition au principe-même de la mesure. Pourquoi s’est-il abstenu lors du vote sur les modalités d’attribution de cette prime ?
Sur ces modalités, les partenaires ont réagi en sens divers. Ainsi, les fédérations hospitalières francophones Unessa et Santhea ont voté contre. Gibbis s’est abstenu. L’ABSYM a voté contre et AADM a voté pour. Le Cartel s’est abstenu et le Dr Bauval s’en est expliqué dans la presse médicale (Médisphère du 20/12) : « Il y avait quelques éléments positifs dans la proposition qui a été soumise : les 100 millions sont (devenus) structurels, ils seront donc attribués chaque année. Il s’agit aussi d’une contribution évolutive qui pourra être modifiée au cours des prochaines années. Ce n’est évidemment pas normal que cette enveloppe ne soit attribuée qu’aux seuls conventionnés. Ce n’est pas acceptable non plus de conditionner à cette affectation des 100 millions des propositions d’Appropriate Care. Nous voulons que ces propositions d’Appropriate Care soient par ailleurs reprécisées parce que les textes ne sont pas précis. ».
Cette abstention est logique : dès l’instant où le GBO/Cartel avait clairement exprimé, en son temps (octobre), son opposition au principe-même de la mesure, le débat et donc le vote ne portaient plus que sur les modalités d’octroi. Il y avait à boire et à manger. L’abstention se justifiait donc car le GBO/Cartel s’inscrit dans un combat politique de débat constructif en vue de faire évoluer au maximum possible les propositions des pouvoirs publics dans le sens où le GBO/Cartel le souhaite et non dans un combat stérile d’opposition systématique à tout ce qui est déposé sur la table par les autorités.
Au vu du contexte actuel, votre contre les modalités d’octroi de ce budget nous faisait courir le risque qu’il soit purement et simplement perdu pour les prestataires.
Le GBO/Cartel continuera donc son combat pour que :
- la diversité des pratiques en MG (acte ou forfait, mono- ou pluridisciplinaire) soit respectée et même encouragée, sans quoi notre système de soins court à l’effondrement.
- plus aucune mesure discriminante entre prestataires ne puisse être mise en œuvre sans concertation avec les syndicats médicaux,
- les honoraires soient revalorisés à leur juste valeur (et véritablement à hauteur de l’inflation galopante), afin qu’un maximum de prestataires puisse conserver ou retrouver un statut conventionné et ce, dans l’intérêt de la population.
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[1] La page Budget de l’assurance soins de santé : pluriannuel et dynamique à partir de 2022 du site de l’INAMI reprend la définition suivante pour l’Appropriate care : « le soin pertinent à sa juste place au moment opportun ».
[ii] Les médecins qui n’obtiennent leur numéro INAMI qu’au cours de l’année concernée doivent seulement être entièrement conventionnés pour la durée de cette année après l’obtention de leur numéro INAMI.
[iii] Ce seuil a été fixé comme suit : sont pris en considération les médecins qui atteignent 20% de la médiane des prestations ambulatoires facturées par les dispensateurs de soins de la tranche d’âge 45-54 ans ayant au moins 2 prestations ambulatoires facturées. Pour les maisons médicales, il s’agit de 20% de l’activité équivalent temps plein exprimée en moyenne d’heures sur une base hebdomadaire.