
MÉDECINS EN DIFFICULTÉ
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Cet organisme indépendant rassemble et centralise les connaissances relatives aux problèmes psychosociaux des médecins, qui se manifestent plus fréquemment chez eux de par la nature et de l’organisation de la profession. Objectif ? Créer, conjointement avec les autres organisations concernées et les autorités, un cadre de prévention pour éviter dans la mesure du possible que les médecins doivent faire face à de graves problèmes d’ordre psychosocial et pour pouvoir détecter et traiter à temps d’éventuels problèmes.
MÉDECIN, HÉROS AUX PIEDS D’ARGILE
Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier, vice-président du GBO,
publié le 21/01/2022
Le COVID a fait éclater au grand jour des problèmes sous-jacents, comme le surrégime professionnel des médecins. Coincés, à la fois par eux-mêmes et la société, dans un costume de super-héros, ils souffrent également d’une non-reconnaissance des manquements institutionnels dans les structures de soins. Chaque crise majeure s’est révélée une occasion de changement. Puissions-nous tirer de celle-ci les meilleures opportunités…
D’une façon ou d’une autre, la pandémie de covid – que l’on peut rebaptiser syndémie de par la diversité de ses impacts (lire Parlons plutôt de syndémie sur notre site) – révèle nos fragilités en tant que soignants, mais aussi en tant que co-responsables de la politique de santé. Bien avant la crise, on pouvait constater que les dispensateurs de soins, en particulier les médecins et les infirmières, présentaient des signes d’épuisement professionnel, de burn-out. Ces signes sont bien connus. Ils vont de l’irritabilité, du présentéisme, du cynisme… jusqu’à l’effondrement personnel total qui entraîne souvent un abandon de la profession. Indice de ces troubles de la santé mentale : le nombre d’assuétudes et de suicides que l’on recense parmi les soignants.
Ce qui aggrave les fissures
La pandémie n’a fait qu’accentuer ces problèmes qui étaient déjà sous-jacents et qui sont liés à la formation, l’organisation des soins et la responsabilisation excessive. Dans un remarquable article tout récemment publié dans le New England Journal of Medecine (*), Agnes Arnold-Forster et coll. analysent l’historique qui a conduit à la fragilisation de nos professions. Les auteurs distinguent trois éléments clés qui entraînent cette vulnérabilité :
- le statut exceptionnel des médecins ;
- la responsabilisation excessive des soignants et la stigmatisation de leurs faiblesses éventuelles ;
- la non-reconnaissance des manquements institutionnels dans les structures de soins et la violence induite par celles-ci.
Le médecin, un être d’exception : “ il n’y a pas d’autres appels qui requièrent une plus absolue abnégation que la profession que vous avez choisie, pas d’autre vocation, même sacerdotale, qui exige l’exercice des plus hautes facultés du cerveau humain, la plus sérieuse dévotion et les plus nobles attributs de l’âme humaine ”. Même si cette citation, extraite du discours du gouverneur J. Knott aux gradués en médecine en 1890 et librement traduite, est ancienne, elle reflète toujours le socle sur lequel les étudiants se placent et, comme dans toutes les positions idéalisées, elle vous emprisonne dans un statut dont il est difficile de s’échapper. Vous endossez ce costume du sauveur, de super.wo.man, qui colle à la peau de chacun d’entre nous.
La vie privée des médecins, leurs besoins les plus élémentaires, sont négligés. Or, combler ces besoins émotionnels est indispensable à tout être humain, dont ils nourrissent la motivation.
Cela justifie – aux yeux de la société comme à notre propre regard – le droit de revendiquer par certains des privilèges et des revenus afférents à cette condition exceptionnelle. Le revers de la médaille en or ? Notre vie privée, nos besoins les plus élémentaires, sont négligés. Or, combler ces besoins émotionnels est indispensable à tout être humain, dont ils nourrissent la motivation. Si notre métier peut nous apporter d’immenses satisfactions, nous pouvons aussi en ressentir très cruellement les limites, mal vivre l’absurdité de certaines procédures et combats sans fin face aux maladies chroniques ou incurables. Nous sommes aussi les témoins muets des carences de notre société, des inégalités sociales face à la maladie, des violences intra-familiales et d’autres situations désespérées et désespérantes.
Je vais bien, merci
La prise en charge des difficultés individuelles des médecins est particulièrement ardue, d’autant que nous sommes aussi des professionnels du déni médical. Si nous devions être attentifs au moindre signe pathologique qui peut nous affleurer, nous éprouverions en effet du mal à survivre. De plus, notre statut de surhomme imposé, et parfois désiré, est un frein puissant à nous apitoyer sur nous-mêmes. Sans compter, enfin, que notre environnement financier s’avère parfois bien précaire face à la maladie. Ces éléments empêchent souvent nos confrères de se prendre en charge à temps. Fréquemment, bien des feux rouges ont été franchis avant que l’évidence devienne irréfragable.
Mentalités et système à revoir
Tout cet environnement mène, dans nos sociétés marchandes qui privilégient la responsabilité individuelle par rapport à la responsabilité collective, à culpabiliser le prestataire, et ce même si les conditions de travail sont toxiques. La vertu s’y confond avec l’invulnérabilité, ce qui conduit à éluder les responsabilités structurelles. Quand on s’aperçoit que des dirigeants hospitaliers et des responsables de formation “ne comprennent pas” que faire exercer un assistant en formation quasi 100 heures par semaine s’avère dangereux et pour lui et pour les patients qu’il soigne, on mesure la longueur du chemin qu’il reste à parcourir pour que les conditions de travail s’améliorent. Idem quand on constate que ces mêmes dirigeants sont amenés à se battre avec des quotas de journées d’hospitalisation, et que la seule façon de s’en sortir est de multiplier les actes techniques. Ou que l’honoraire des médecins sert à renflouer des caisses exsangues…
Il serait peut-être temps de raisonner autrement. Le GBO/Cartel a soutenu l’augmentation des honoraires réclamée par un autre syndicat, mais on ne pourra se contenter de ce type de mesure pour repenser l’ensemble de notre système de soins. Des expériences à l’étranger devraient inspirer la Belgique dans cette voie, incluant des évaluations sérieusement analysées de la performance des itinéraires de soins, et l’identification du meilleur soin à prodiguer par le prestataire le plus adéquat, en se détachant de cette concurrence exacerbée, à la fois entre les lignes de soins et au sein de chacune d’entre elles. Chaque crise majeure s’est révélée une occasion de changement. Puissions-nous tirer de celle-ci les meilleures opportunités.
Dr Lawrence Cuvelier
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(*) NEJM 6 January 2022, p4 à 7, N°1 : 386 Obstacles to Physicians’ Emotional Health – Lesson from History
La MG, une drogue dure ?
Nous partageons évidemment, les considérations de notre confrère Cuvelier.
Mais, il me semble que l’on ne voit que les aspects négatifs de l’apostolat médical, sans regarder, les satisfactions qu’il procure, voire la toxicomanie (1) qu’il engendre. Pourquoi fait-on la médecine ? Bonne question, à laquelle il n’y pas qu’une réponse. Mais si nous supposons l’action des neurones miroirs à la source de l’altruisme (2). Nous voyons que la compassion passe par notre propre souffrance. Donc en soulageant l’autre, nous nous soulageons nous-même. Parfois, pas toujours, le patient soulagé nous envoie des messages de reconnaissance, ces messages produisent aussi de la jouissance. Et nous voici déjà deux fois récompensé sur le plan neuroendocrinien. Il n’est pas impossible que chez certains praticiens, la jouissance soit telle qu’elle conduise à une véritable addiction. Ils multiplient les actes, ils se sacrifient de jour comme de nuit. Et l’état d’excitation les maintient en forme. Il est possible que cela conduise au Burn-out, mais il est aussi possible que cette drogue adrénergique et dopaminergique, leur permettent de surmonter l’épuisement professionnel, voire de les en immuniser ?
Dr Pierre Drielsma
(1) Quelques enjeux du processus psychanalytique; Alain Ferrant; Dans Nouvelle revue de psychosociologie2008/2 (n° 6), pages 41-56.
(2) Comme de la rivalité mimétique, mais c’est une autre histoire