Liberté et soins médicaux, des choix compliqués

Dr Lawrence Cuvelier

Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier, vice-président du GBO
publié le 04/11/2021

La COVID nous oblige à repenser ce qui fonde notre liberté. Nous ne pouvons forcer autrui à faire ce qu’il n’a pas envie de faire ou à penser à rebrousse-poil de ses convictions. Comme médecin, il nous faut accepter qu’un patient ne se soigne pas, repousse les arguments rationnels, et préserver la relation de confiance. La pandémie génère toutefois des situations où l’intérêt collectif prime sur l’intérêt individuel et où, clairement, ce sont les autorités qui doivent prendre les mesures contraignantes nécessaires.

Que signifie « être libre » dans une société aussi complexe et riche en interactions que la nôtre ? Notre liberté s’arrête là où commence celle des autres. De façon plus générale, si un comportement individuel nuit à la collectivité, on peut établir des règles qui protègent les citoyens, permettant de mettre le holà à ce qui est toxique pour autrui. On paie des impôts et des lois sociales pour le bien commun. On oblige les occupants des voitures à boucler leur ceinture, d’une part pour préserver leur propre sécurité, de l’autre pour réduire le coût des hospitalisations consécutives aux accidents et leurs séquelles, qui pèseront non seulement sur les victimes mais aussi sur la collectivité qui leur versera des allocations de remplacement. En 40 ans, le nombre de morts dans des accidents de la route est passé de +/- 2.000 par an à environ 600.

Consentement

Le concept de liberté n’a de sens que dans une vie en société, mais des règles sont indispensables pour que celle-ci puisse s’exercer. On ne peut pas interdire à quelqu’un de croire ou de prétendre n’importe quoi, par exemple que notre société est dirigée par des hommes-lézards qui veulent imposer la vaccination pour dominer le monde et favoriser son invasion par des extra-terrestres (version qui circule notamment sur les réseaux sociaux…). L’expression fait partie des libertés qui existent dans les pays démocratiques. On est d’un autre côté tout aussi libre de ne pas gober ce genre d’assertions.

Nous avons pour habitude, comme médecins, de travailler avec le consentement du patient. Nous savons que si n’obtenons pas son adhésion via des explications motivantes, beaucoup de traitements s’avéreront inopérants, quand ils ne seront pas tout bonnement abandonnés. Ceci vaut surtout pour les maladies chroniques où les thérapies sont parfois plus désagréables que les symptômes. Les traitements sous contrainte, s’ils se révèlent indispensables dans certaines circonstances, sont à éviter en règle générale.

En matière de vaccination COVID, nos gouvernants ont essayé d’éviter des mesures contraignantes, et de miser plutôt sur la persuasion – ce qui est rationnel mais évidemment inefficace face aux plus réfractaires.

La force du déni

Dans le cadre de la pandémie, nous nous trouvons dans des situations où l’intérêt collectif prime sur l’intérêt individuel et où, clairement, ce sont les autorités qui doivent prendre les mesures contraignantes nécessaires. On a pu voir, dans des pays extra-européens, des hommes politiques négliger royalement l’avis des experts et miser sur le populisme ambiant pour s’épargner de devoir édicter des restrictions déplaisantes. Chez nous, en matière de vaccination covid, les gouvernants ont essayé d’éviter des mesures contraignantes, en tablant plutôt sur la persuasion – ce qui est rationnel mais évidemment inefficace face aux plus réfractaires, adeptes de concepts basés sur le stress et l’émotion. Fin septembre, une patiente non vaccinée, infectée par le SARS-Cov-2 mais non hospitalisée, répétait sans cesse : « on ne m’avait pas dit que c’était si grave ! » La force du déni est telle qu’elle résisterait à un tsunami…

Le fait d’accepter qu’un patient ne se soigne pas fait partie intégrante de notre métier et de nos compétences, tout comme savoir lâcher prise devant une situation désespérée. Cela doit être dans les cordes de n’importe quel médecin. Nous devons nous arrêter lorsque nous sentons que nos arguments les plus pertinents se fracassent sur le mur de la peur et du stress. Il est alors prioritaire de maintenir une relation de confiance, pour éventuellement pouvoir revenir en arrière. Parfois, tout est vain, malheureusement. Un diabétique qui engouffre un kilo de bonbons n’ira pas forcément chez la diététicienne et sera vite exclu d’une convention diabétique. Les seules armes qui restent au médecin sont la bienveillance et l’écoute. Cela prend du temps… et ce n’est pas forcément bien remboursé.

Contradictions

En qualité de médecins, nous sommes aussi des partenaires ‘scrutés’ par les organismes assureurs et la collectivité par rapport aux soins que nous délivrons, qui doivent être performants et équitables. La performance est jugée sur les publications scientifiques et le coût sociétal. Nous sommes supposés prodiguer des soins EBM, même si parfois les normes édictées ont été élaborées à partir d’études non EBM. Il est évident qu’il s’agit d’une requête légitime, mais nous sentons bien qu’il est plus facile de stigmatiser un généraliste qu’un professeur d’université.

Le généraliste qui navigue dans un océan d’incertitudes a parfois du mal à accoster sur une île de la sérénité où tout serait simple. Les contradictions ne manquent pas. Les mutuelles, par exemple, se montrent par moments bien ironiques par rapport à certains types de pratiques non conventionnelles. Mais cela ne les empêche pas de les proposer parfois dans leur portefeuille d’assurance complémentaire.

Evidemment, il y a un siècle, personne ne remettait en doute les capacités du médecin, et la plupart des thérapies étaient superbement inefficaces. On était libre mais incompétent. Aujourd’hui, nous avons le devoir d’accepter certaines contraintes, mais l’obligation de dénoncer celles qui ne sont pas opportunes.

Dr Lawrence Cuvelier