LETTRE OUVERTE À NOS PARTENAIRES SYNDICALISTES DE TOUS BORDS,
en réponse à la lettre ouverte adressée aux jeunes consœurs et confrères concernant la pléthore de médecins généralistes en fin du XXe siècle et vantant les bienfaits de la pénurie actuelle.
Une carte blanche du Docteur A. Gillet, présidente honoraire du GBO/Cartel,
publiée le 31/03/2022
Oui, trois fois oui, la pléthore de médecins a été chose difficile à gérer pour chacun de nous en ces temps de début de carrière pour les médecins quinquas et plus.
Mais étant syndicalistes, pouvons-nous nous contenter du récit de nos frustrations anciennes pour faire accepter la pénurie actuelle de généralistes aux jeunes confrères et consœurs ?
Faire du syndicalisme, comme gouverner, c’est prévoir
Un tiers d’habitants de Bruxelles n’ont pas aujourd’hui de médecin de famille, et ce n’est pas toujours par choix. Près d’un médecin sur trois a entre 55 et 64 ans. Le nombre de médecins de 65 ans et plus, encore actifs, est presque aussi important que le nombre des médecins âgés de 45 à 54 ans. Ce qui signifie qu’un grand groupe de médecins partira à la retraite au cours des 10 prochaines années. Que sera la situation de la première ligne bruxelloise dans dix ans ? Que sera la situation en Wallonie où sévit le même phénomène ? Ne pas s’obstiner à résoudre ce problème aujourd’hui pour demain équivaut à ne pas considérer la médecine générale comme indispensable dans le système de soins. Ce n’est pas la thèse défendue par mon syndicat !
Il manque de médecins conseils de mutuelles. De même pour les médecins du travail. Nous savons que la plupart d’entre eux sont issus du vivier généraliste : ne pas prendre en compte cette donnée équivaut à prétendre que la protection des travailleurs sur les lieux de travail n’est pas indispensable, alors que le marché du travail est de plus en plus agressif. Pour preuve le nombre de travailleurs atteints de burn out. En hôpital aussi !
La santé mentale est aujourd’hui en faillite, ne pouvant plus répondre à la demande de soins qui a explosé lors du confinement. Ne pas combattre cela, c’est accepter que la santé mentale n’est pas un souci majeur de santé publique, en particulier pour les enfants, et c’est de facto hypothéquer l’avenir de notre population. La médecine générale est impactée par cette problématique. Nous devons y faire face.
Citons d’autres exemples comme les activités spécifiques de certains médecins, principalement généralistes : les soins aux toxicomanes, le planning familial, … : le temps « libre » pendant la pléthore a amené certains à s’investir dans des activités de prévention ou de soins spécialisés peu pris en charge par la profession, en centres spécialement dédiés ou en cabinet de groupe … Il y a pénurie de médecins s’investissant dans le traitement et le suivi des toxicomanes … Il y a pénurie de médecins s’investissant dans le planning familial … Des généralistes ont organisé l’action politique pour obtenir la dépénalisation de l’IVG. Mais nous n’aurons bientôt plus assez de médecins qui la pratiquent … Dirions-nous que cela n’est pas très utile dans le paysage des soins de santé ?
Si, pour les médecins, les combats d’hier ont été la reconnaissance intellectuelle, structurelle et financière de la médecine générale qui était le parent pauvre de notre système de soins, … et d’autres combats comme les dépénalisations de l’IVG et de l’euthanasie, les défis d’aujourd’hui sont d’une part le maintien et l‘amélioration de ces acquis jamais définitifs, et d’autre part, des défis plus « modernes » : la prise en charge des populations réfugiées, victimes de guerre, de torture, de mutilation, victimes d’inondation, de pandémie, de crises environnementales, …
Aujourd’hui, nous savons qu’un médecin sur deux est en risque de burn out. Et un assistant sur deux est en risque de burn out. Cela pose question quant à l’état de santé de nos collègues et quant à l’efficacité de notre profession face à ces défis.
Non, nous ne voulons pas de pléthore … et nous ne voulons pas de pénurie. La qualité des soins est victime de l’une comme de l’autre : la surproduction de soins et la sous-production de soins ont toutes deux comme conséquence une iatrogénicité qu’il est indispensable de combattre au service de notre population.
Et si nous revendiquions l’équilibre ?
Non, nous ne voulons pas de pléthore … et nous ne voulons pas de pénurie. La qualité des soins est victime de l’une comme de l’autre : la surproduction de soins et la sous-production de soins ont toutes deux comme conséquence une iatrogénicité qu’il est indispensable de combattre au service de notre population.
D’autres questions s’imposent :
Pourquoi, pendant la pléthore, avons-nous assisté à tant d’accouchements prématurés chez les femmes médecins ? Pourquoi les gardes ont-elles été imposées aux femmes qui allaitent … ? « Parce qu’elles devaient compenser leur absence du rôle de garde qu’elles avaient déserté pendant leur congé de maternité », congé réduit d’ailleurs en dehors de tout entendement médical ? Nous aurions pu croire que la pléthore aurait protégé ces femmes, vu que la main d’œuvre était surabondante.
Je ne pense pas que la pénurie les protégera mieux. Ne savons-nous pas que la médecine générale se féminise à toute allure ? Comment assurerons-nous l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle sous le joug de la pénurie ? À moins de limiter chacun notre patientèle et de réduire l’accès aux services d’une première ligne forte et en bonne santé ? Est-ce notre choix syndical ?
Et last but not least, il y a pénurie de médecins actifs dans la défense professionnelle : si les généralistes ont tous le nez dans le guidon, pourront-ils encore défendre adéquatement leur métier ? À moins que cela ne soit un but inavoué d’une organisation structurelle mais irresponsable de la pénurie …