
Les paradoxes de la vérité
Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier, vice-président du GBO
publié le 17/12/2021
On peut mentir par ignorance, par omission, mû par l’appât du gain, qu’il soit sonnant et trébuchant ou électoral. On peut mentir par édulcoration de la réalité, certaines vérités étant difficiles à entendre. Les dirigeants de quelques États ont fait du maquillage de faits désavoués internationalement un sport national. Et les réseaux sociaux donnent de l’épaisseur à des croyances. Il serait naïf de penser, par ailleurs, que la probité et la sincérité sont toujours récompensées.
Vers la fin du mois de novembre 2021, les scientifiques d’Afrique du Sud annonçaient avoir identifié un nouveau variant du SARS-Cov-2, présentant un grand nombre de mutations et plus virulent que le variant delta. Les conséquences de cette révélation ont été catastrophiques pour le pays : vague d’annulations dans les réservations touristiques, dépréciation du rand, restriction des vols… A ce moment, la situation de la pandémie était rassurante – très peu de cas, un taux d’hospitalisation très bas. On peut constater deux choses. D’une part, que le pays était compétent au point de vue virologique, de l’autre, qu’il s’est montré honnête. D’autres nations n’ont pas eu cette correction. Dans le pays d’origine de l’infection, ils ont affirmé n’avoir dénombré que 3.000 morts et condamné le médecin qui avait osé révéler que quelque chose de grave se tramait.
Championne par sa rigueur
Que faut-il en penser ? Que, pour un pays, il vaut mieux mentir pour protéger ses propres intérêts… La Belgique s’est distinguée, en début de crise, par sa méthode de recensement des décès attribuables au covid, y incluant les cas suspects mais non confirmés en MR(S). Ce faisant, elle a été stigmatisée par l’ex-président Trump en tant que championne de la surmortalité par habitant. Celui-ci en a profité pour retarder les mesures dans son propre pays, ce qui au final a sans doute été l’un des éléments qui ont précipité son échec aux urnes.
Se figurer que le mensonge est toujours puni, c’est sans doute faire preuve d’une belle naïveté. Reste alors aux personnes, institutions ou États de soigner leur estime de soi par la probité.
Comme médecins, nous sommes amenés à poser des choix compliqués, que ce soit au niveau des options thérapeutiques ou de la résolution de drames humains dans lesquels notre signature sur un document équivaudra parfois à un arbitrage décisif.
Réglo avec sa conscience ?
Comment se sent ce médecin qui établit des certificats de vaccination à tour de bras, pour le plus grand bonheur des anti-vax, en jetant les ampoules à la poubelle ? On peut être intransigeant au niveau de la formation des médecins, alors que ceux-là peuvent commettre des fraudes sciemment et de façon parfaitement intéressée. Nous sommes entrés dans l’ère des vérités alternatives, celles qui se construisent à partir de doutes de la population, qui se voient amplifiées par les réseaux sociaux, lesquels pour des raisons commerciales ou idéologiques vont orienter les gens vers leurs « centres d’intérêt ». On confond alors allègrement vérité et croyance.
Le public préfère la certitude
L’ennui, c’est que la science peut avouer qu’elle ne sait pas, mais que le public, lui, n’aime pas vivre dans le doute. Il préfère la certitude. Nous avons vu des virologues être menacés, au point que l’un d’entre eux a dû être placé sous protection policière car il énonçait des vérités difficiles à entendre. Bien entendu, ces experts ont été soumis à une pression médiatique insupportable, poussés à partager des doutes en direct ou à devoir s’aventurer, micro sous le nez, dans des prévisions aléatoires. Quant aux politiques, tiraillés, par exemple, entre les restrictions réclamées par la lutte contre le covid et les intérêts d’un secteur qu’ils défendent traditionnellement, il a pu leur arriver de prendre des décisions regrettables, parce qu’aller dans le sens espéré par l’opinion servait leurs ambitions électorales.
Il est des pays qui ont à leur tête des opportunistes du mensonge, comme la Russie, la Chine, la Turquie, ou encore des nations dont les médias parlent moins, telles les Philippines et l’Inde. Leurs dirigeants peuvent abuser de leur pouvoir pour maquiller la vérité. Nous attendons toujours que les turpitudes polonaises et hongroises soient sanctionnées.
On peut mentir par ignorance. C’est alors un mensonge de bonne foi, et tout le monde a pu faire ce type de faux pas. Le courage, c’est de le reconnaître. On peut aussi mentir par conviction idéologique. On supprime de son champ intellectuel tout ce qui n’entre pas en résonance avec la pensée préétablie. On peut mentir par intérêt, que ce soit pour raisons pécuniaires, pour glaner des voix ou encore pour alimenter son narcissisme.
Eviter l’escalade et l’émotionnel
Souvent, le GBO doit faire face à différents mensonges, de tous types. Il essaie d’y réagir avec retenue, la provocation étant stérile et les arguments émotionnels souvent impossibles à débattre. Comment se mettre à la place de tous les généralistes et affirmer de façon péremptoire parler en leur nom ? Pourtant, notre rôle est de les défendre… Mais cela doit se faire en tenant compte des différences et des sensibilités.
Nous voulons respecter l’éthique et nous ne défendrons pas les pratiques douteuses, pas plus que nous ne jetterons l’anathème sur une pratique solo, en association ou en maison médicale. Chacune de ces formules peut être porteuse de dérives, c’est vrai, mais condamner un type de pratique nous semble présomptueux. Le principal moteur de notre combat, c’est montrer que le généraliste pratique un métier difficile, dont le rôle dans la santé publique est souvent ignoré, voire méprisé.
Dr Lawrence Cuvelier