LES IDÉES REÇUES NE SONT PAS FORCÉMENT DES CADEAUX …

Dr Lawrence Cuvelier

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Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier, Vice-Président du GBO/Cartel, publié le 17/03/2023.

Alors qu’un accident d’auto sous emprise d’alcool ou de cocaïne n’aura droit qu’à un entrefilet dans une gazette locale, le fait divers banal se transforme en fait de société à la une des journaux si c’est un personnage connu qui conduit. Victime de cette loi de l’information, Pierre Palmade est devenu la cible de déclarations politiques matamoresques. D’un point de vue médical, cette affaire suscite quelques réflexions.

Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir

La consommation de substances psychotropes n’a pas du tout le même impact selon la classe sociale. Dans “La garçonne”, le très beau roman de Victor Margueritte paru en 1922, l’auteur décrit le parcours d’un personnage attachant, Monique Lerbier, une femme indépendante dans le monde des années folles. Un moment dans sa vie, elle consomme opium et cocaïne avant de se reprendre. C’est que la cocaïne était déjà consommée par les élites Il y a plus d’un siècle et reste aujourd’hui encore une drogue de prédilection les élites sportives, financières et du spectacle. La plupart du temps, cette consommation demeure confidentielle car les classes supérieures ont assez de filets sociaux pour que leur consommation ne s’ébruite pas à tous vents, ce qui leur épargne l’image du toxicomane, une image plutôt liée à la déchéance sociale. Pourtant les biographies des certaines vedettes du passé ne cachent pas que leur disparition médiatique a coïncidé avec une aggravation des addictions, qu’elles soient la cause ou la conséquence de leur chute. Alors que les patients pauvres sujets aux addictions se retrouvent en prison (une bonne partie des détenus en Belgique sont toxicomanes), les plus favorisés vont se soigner dans de luxueux établissements en Suisse.

L’essentiel n’est-il pas d’arrêter la consommation … d’idées reçues ?

La population et les politiques ont des conceptions rudimentaires sur le problème des assuétudes

On ne peut que déplorer la méconnaissance totale d’une grande partie de l’opinion et des politiciens sur le sujet “drogue”. La croyance pratiquement dogmatique d’une faute et d’un péché dans le chef du consommateur, qu’il soit occasionnel ou dépendant, entraîne des attitudes émotionnelles violentes. La conception la plus courante du public, et donc des politiques qui dépendent des voix des électeurs, est que la toxicomanie est non seulement une faute morale mais aussi un acte répréhensible qui impose qu’on édicte des lois exemplaires et qu’on inflige des sanctions sévères. Les consommateurs de drogues illégales sont décrits comme des individus dangereux qui, dans certains pays, méritent des peines d’une lourdeur extrême allant jusqu’à la condamnation à mort.

Les attitudes les plus fréquentes sont des jugements et des condamnations morales

Nous n’en sommes plus là mais la conception de base reste une faute morale liée à l’absence de volonté et de contrôle sur soi-même. On peut déplorer que de nombreux médecins partagent cette conviction et, sans avoir une formation adéquate sur le sujet, se permettent des jugements ou des attitudes thérapeutiques parfaitement inadéquates. Une fois les prises de positions affichées, il devient très difficile de leur faire entendre un discours rationnel. Ce sont des attitudes inefficaces et même contre-productives. Il est patent que la guerre contre la drogue déclarée dès 1970 par le président Nixon est un échec désastreux et fait le jeu des trafiquants. Le prix des substances est en effet directement proportionnel aux politiques répressives et inversement proportionnel aux politiques de prévention : plus les trafiquants prennent de risques, plus leurs bénéfices augmentent. Par contre, si les pays prennent des mesures pour soigner les personnes dépendantes, les prix des substances diminuent pour conserver la “clientèle”. Les discours les plus radicaux font donc les affaires des narco-trafiquants et comme ceux-ci disposent de moyens illimités, on peut se demander s’il n’y a pas là un vrai paradoxe car leurs pertes liées à la répression représentent environ 10% de la production, une perte que n’importe quel industriel peut gérer sans difficulté.

Le mythe de l’invincibilité qui se répand dans nos sociétés est particulièrement toxique

Pour revenir à notre pratique quotidienne, nous rencontrons assez souvent des patients qui se vantent de ne jamais tomber malade, à l’inverse d’autres dont les armoires débordent de médicaments et compléments alimentaires. Parfois notre boulot de soignant devient ardu face à cette attitude de déni de la maladie, en particulier quand il s’agit de soigner des pathologies chroniques comme l’hypertension ou le diabète, maladie souvent sans symptômes. Ces “invincibles” ont beaucoup de mal à accepter les “faiblesses” des consommateurs de psychotropes, ils considèrent leur bonne santé comme un effet de leur volonté et la maladie des autres comme une conséquence de leur manque de volonté à mener une vie saine. Cela est d’autant plus facile pour quelqu’un de nanti qui aura bien moins de facteurs de risques de maladie. C’est dans le même ordre d’idées que certains politiciens considèrent les dépenses sociales et de santé comme des concessions inutiles à des chômeurs paresseux.

Remettons les pendules à l’heure

Fort heureusement, il existe une frange de soignants et d’intervenants sociaux qui savent que les problèmes d’assuétudes sont essentiellement des pathologies psycho-médicales qui présentent plusieurs caractéristiques :

  • Il faut distinguer l’usage de drogue et la toxicomanie. La toxicomanie est une maladie avec des conséquences médicales, sociales et psychologiques. Une consommation occasionnelle peut entraîner des suites dommageables mais n’est pas une toxicomanie.
  • La plupart des assuétudes sont non guérissables mais se soignent très bien. De la même manière qu’un joueur qui ne joue pas est toujours un joueur. C’est la même chose pour un alcoolique.
  • Les substances excitantes comme la cocaïne et les dérivés d’amphétamine n’ont pas de traitements spécifiques.
  • La distinction entre drogue légale et illégales n’a rien de médical.
  • La toxicomanie s’installe à la convergence de trois facteurs : une prédisposition génétique, un environnement perturbé surtout durant l’enfance et l’adolescence, et la rencontre avec le produit. Ceci explique pourquoi certaines personnes deviennent dépendantes du tramadol (par exemple) alors que d’autres l’arrêtent très vite.

On peut développer longuement tout ceci, mais l’essentiel n’est-il pas d’arrêter la consommation … d’idées reçues ?

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Dr Lawrence Cuvelier