
LES ALÉAS DES CONTRÔLES DE QUALITÉ
Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier, vice-président du GBO,
publié le 20/05/2022
Le temps c’est de l’argent. Et le travail bien fait, c’est quoi ? À moins d’être tombés dans une pratique mercantile où le cynisme remplace la bienveillance, nous désirons tous que notre travail soit bien fait. Mais personne n’est à l’abri d’une dérive des objectifs, comme pourrait en témoigner la mise en place de la prime de pratique intégrée en médecine générale. Plutôt que de renforcer la qualité des soins, celle-ci ne serait-elle pas dans certains cas en train de tuer la relation avec le patient en nous obligeant à nous concentrer sur le fait de compléter correctement les cases de notre logiciel, plutôt que de privilégier l’écoute vraie ? Au final, le MG ne risque-t-il pas faire fi de ces primes pour pouvoir se concentrer sur ce vrai métier : soigner les gens ?
Le temps c’est de l’argent. Et le travail bien fait, c’est quoi ?
Si nous désirons tous que notre travail soit bien fait, personne n’est à l’abri d’une dérive des objectifs, même si cela parait arriver plus souvent au sein de grandes institutions que chez des prestataires individuels. Il n’y a pas longtemps, j‘ai soigné un cuisinier désespéré de devoir travailler pour un grand groupe de maisons de repos. Il était scandalisé par le rationnement imposé aux pensionnaires (les actionnaires de ce groupe n’ont sans doute pas des problèmes de sous-nutrition). Pourtant, la sous-alimentation pose des problèmes bien connus par les gériatres qui nous demandent de peser les patients pour les détecter. Nous constatons aussi que les aides-soignantes et aides-soignants, astreintes à des horaires éreintants avec un cahier de charge surchargé, sont souvent atteintes de lombalgies chroniques et d’épuisement professionnel.
Tout cela ne veut pas dire qu’il est impossible d’améliorer la qualité de la médecine par des mesures d’encouragement, mais si elles ne sont pas intelligentes, les généralistes les plus motivés préféreront ignorer des primes plutôt que de sacrifier ce qu’ils considèrent comme la vraie beauté de leur métier.
Des maisons … pas de tout repos
Auparavant, il existait des petites exploitations familiales qui accueillaient des personnes âgées. Si certaines étaient critiquables sur le plan sanitaire, dans la majorité d’entre elles régnait une ambiance familiale où la convivialité était de mise, où le cuisinier, s’il aimait son métier, avait la possibilité de gâter son petit monde. Le prix de la pension pouvait être modique car les normes d’agrément n’étaient pas encore trop strictes. Malheureusement, certaines de ces maisons de repos fonctionnaient dans des conditions franchement catastrophiques, ce qui a amené les autorités à se montrer plus sourcilleuses sur leur encadrement. On a probablement jeté le bébé avec l’eau du bain car la plupart des petites maisons ont disparu au tournant du millénaire. Les normes édictées furent mieux respectées, mais au détriment de l’humanité. Les patients, qui étaient habitués à manger de manière variée, doivent maintenant se contenter de carottes cuites à l’eau avec une triste purée et un poulet sans saveur, préparés dans des cuisines industrielles qui, comme à Bruxelles-ville, fournissent les homes, les hôpitaux et les écoles suivant un modèle industriel loin de la convivialité d’antan. On sait pourtant que la qualité de vie des personnes âgées dépend de la qualité de leur alimentation … de ce moment où le vieux monsieur regarde plus le plat apporté que la serveuse !
Quand les normes de qualité menacent la qualité …
Mon propos est de montrer que l’instauration de normes risque de se faire au détriment d’une certaine humanité. Il faut bien évidemment un minimum d’hygiène mais qu’est-ce qui est le plus important pour une personne emprisonnée dans sa chambre par ses handicaps ? Avoir un contact humain ou passer par un carwash pratiqué à la chaîne par des soignantes au bord du burn-out ? Pour les autorités, il est bien plus simple d’établir des critères mesurables que de se pencher sur l’humanité d’une institution. Pourtant, comme la pandémie nous l’a démontré, le syndrome du glissement n’est pas un mythe : l’absence de stimulation et l’isolement sans perspectives peuvent tuer.
« L’homme n’est ni ange, ni bête, le problème c’est que quand il veut faire l’ange il fait la bête ». Cette célèbre pensée de Pascal s’adresse en priorité au stoïcien qui, par trop d’ascétisme, se place au-dessus du genre humain. Nous médecins, nous savons qu’il faut nous améliorer sans relâche, même si nous tendons à considérer que notre confrère doit se perfectionner tout en faisant preuve de beaucoup d’indulgences pour nos propres erreurs (les pires erreurs que nous puissions faire, ce sont celles que l’on commet par ignorance).
Essayez l’intelligence !
Le GBO s’inscrit dans la promotion d’une démarche de qualité. Comment pourrions-nous défendre la médecine générale face aux autorités en négligeant une approche de qualité, une approche du meilleur soin au meilleur moment ? Cependant, cette approche est périlleuse. Nous pouvons entendre les infirmières hospitalières qui doivent choisir entre soigner le patient et remplir des documents. Dans une enquête menée par le Journal du médecin, sans surprise, les tâches administratives et informatiques sont celles qui sont réputées les plus pénibles. Comment établir des grilles de qualité sans recourir à un type de mesures qui passent par un enregistrement ? Dans la plupart des études, on mesure des données chiffrées alors que notre métier se distingue par des indices de qualité qui ne peuvent s’apprécier que sur le long terme.
Tout cela veut dire qu’il est évidemment possible d’améliorer la qualité de la médecine par des mesures d’encouragement, mais que, si elles ne sont pas intelligentes, les généralistes les plus motivés préféreront ignorer des primes plutôt que de sacrifier ce qu’ils considèrent comme la vraie beauté de leur métier.
Dr Lawrence Cuvelier