L’ÉLÉGANCE EN MÉDECINE : DE L’ESTHÉTIQUE À L’ÉTHIQUE

Dr Lawrence Cuvelier

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Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier, Vice-Président du GBO/Cartel, publié le 10/03/2023.

Autrefois, les codes de déontologie recommandaient que le médecin se présente dignement par respect pour la fonction et le prestige médical. Cette recommandation n’a pas survécu aux changements de mentalité et à la modification des rapports entre patients et médecins, passés d’une relation de type paternaliste à un échange empathique. Si un certain conformisme vestimentaire est devenu totalement obsolète, il est une certaine forme d’élégance qui ne peut être dédaignée.

Ceux qui me connaissent liront cette rubrique avec un sourire aux lèvres, car au point de l’élégance vestimentaire il m’arrive souvent d’avoir une chemise en drapeau débordant du pantalon, des boutons de chemises mal appariés, des lacets défaits ou même un pull passé à l’envers, et ce n’est pas par envie d’être excentrique. Quand j’étais enfant, ma mère exaspérée me morigénait : “qui t’habillera plus tard, ta femme ?“. Je repense souvent à cette phrase quand un patient me fait gentiment une remarque ou remet ma chemise en ordre. Au début de ma carrière, j’avais diagnostiqué une méningite chez un jeune adulte et envoyé celui-ci à l’hôpital. Peu après, j’ai appris par un confrère que la maman avait préféré celui-ci car il portait une cravate… Pourtant je continue à croire que l’élégance chez le médecin passe d’abord par la compétence. Ceci dit, on est loin du temps de Molière où la tenue du médecin masquait sa totale inefficacité, les médecins actuels se distinguent par la variété de leurs tenues qui reflètent toujours quelque chose d’eux-mêmes. Je travaille dans des quartiers défavorisés mais avec une patientèle très diversifiée : ni un tablier blanc ni un costume trois pièces ne pourrait convenir aux personnes qui me consultent. Fermons cette parenthèse : l’élégance dont il s’agit ici ne tient pas au choix vestimentaire mais à un comportement, celui qui nous pousse à rechercher la beauté dans notre relation aux patients.

L’éthique c’est l’esthétique de dedans.
(Pierre Reverdy)

Le petit morceau de sucre qui aide la médecine à couler

Ce comportement, ce sont des paroles, des regards et des actes qui reflètent un état d’esprit, transmettent un rayonnement intérieur et ainsi illuminent la relation thérapeutique. Ce sera « le petit morceau de sucre qui aide la médecine à couler ». Si le médecin se sent en harmonie avec lui-même, il émanera de lui ce que je nomme élégance, chose qui n’a rien à voir avec une séduction par désir de plaire ou par esprit de lucre. Bien sûr, aucun thérapeute n’est en permanence en état de félicité, mais plus le médecin est « en forme », mieux il épaulera le malade. Tous n’arrivent pas à cette harmonie et nous connaissons des confrères qui ont perdu leur vocation altruiste au cours des stages ou qui ne l’ont jamais eue. Certains abandonnent d’ailleurs la fonction curative pour des fonctions de contrôle ou d’expertise médicale.

Cette élégance faite de petites paroles, d’une question posée au bon moment, d’un regard qui en dit long, d’une attitude corporelle, c’est ce qui est perdu lors des consultations en visio. Elle est aussi faite de temps, savoir attendre la plainte au lieu de la précéder. S’il faut 6 mois pour qu’un patient admette une consommation excessive d’alcool, en finale on aura gagné un temps considérable par rapport à un constat brutal et agressif sur cette consommation qui n’entraînera que déni et rejet. Savoir respecter la pudeur morale, les silences, pour mieux comprendre le contexte d’une souffrance familiale et parfois démêler une situation inextricable. Il n’y a aucune certitude de réussite mais pouvoir rester élégant sans se décourager face aux échecs permet d’exercer avec bonheur pendant des décennies.

L’élégance ne tombe pas du ciel

L’essentiel dépend de dispositions intérieures, d’une motivation à faire le bien, de la reconnaissance des patients, mais malheureusement la faculté à soulager la douleur peut être entravée par de multiples obstacles. Il y a l’administration, les documents à délivrer, les certificats multiples, les médicaments. Il y a la tension permanente entre l’intérêt sociétal et la personne qui dépend de nous pour une série d’avantages. Il y a nos conditions de travail, le cabinet, les collaborateurs, l’infrastructure. Il y a la masse d’information médicale pas toujours pertinente qui saoule les patients et pollue nos consultations. Il y a l’ambiguïté de notre statut, agent de santé publique quand il s’agit d’assurer les gardes ou de gérer les épidémies, et cochon payeur pour le ministère des finances. Sans oublier l’informatique, nouvelle donne avec ses avantages et ses contraintes. L’élégance, on le voit, n’est pas (ou pas que, ou pas seulement) un don de naissance ou une grâce tombée du ciel. Elle ne fleurit qu’en terrain fertile.

Il importe que nos autorités comprennent que si nous bénéficions d’une attitude bienveillante et de conditions de travail plus adéquates, nous aurons un service de santé plus performant, même si cela ne se mesure pas par le taux médian des hémoglobines glycatées de notre patientèle. Les médecins veulent rendre service à leurs patients, travaillent souvent largement au-dessus des heures d’un salarié, sont amenés à prester des gardes, et doivent assurer un équilibre entre la vie privée et professionnelle, cherchez l’erreur…

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Dr Lawrence Cuvelier