
LE SECRET, MORT OU VIF !
Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier, vice-président du GBO,
publié le 03/06/2022
Le secret médical a pour but de garantir le meilleur soin au malade en lui assurant la confidentialité mais également la sécurité des soignants. Force est de constater que ce secret n’est pas toujours respecté et peut faire l’objet d’un chantage insidieux pour qu’un patient puisse bénéficier d’une aide. Cette immixtion dans l’intimité est pourtant protégée par l’article 458 du code pénal. Plus insidieuses sont les applications de l’e-santé qui, en principe, ne dérogent pas au droit de la confidentialité mais qui, en pratique, présentent des dérives potentielles que les responsables ne peuvent pas toujours mesurer. Le GBO/Cartel revendique donc le maintien de hubs gérés par la profession mais soutenus par des fonds publics.
Il était une fois, loin d’ici, il y a très longtemps ….
Dans la petite ville d’Oujda, au Maroc, à proximité de la frontière algérienne, par une chaude soirée de juin 1957, la petite Michèle Tonellot, 6 ans, rejoint sa mère dans la chambre pendant que son père, chirurgien, continue de travailler dans son bureau. Soudain, une violente explosion retentit. Le médecin se précipite et trouve son épouse et sa fille blessées par les éclats de bois. Par miracle, il n’y a pas de mort. Peu de temps après, un employé qui avait été renvoyé est arrêté et condamné pour cet attentat. Il restera muet sur ses motivations. Mais, pour le docteur Tonellot, il est difficile de croire que ce simple employé a pu se procurer deux kilos d’explosifs.
Soixante-cinq ans plus tard, la vérité éclate au grand jour grâce à l’ouverture des archives secrètes de la guerre d’Algérie : ce sont les services secrets français qui ont orchestré cet attentat contre un de leurs propres ressortissants.
Qui pouvait en vouloir à ce médecin inflexible mais honorable ?
Le Dr Tonellot, esprit libre et engagé, a été condamné par les services secrets de son propre pays car il respectait l’esprit du serment d’Hippocrate. Les dictatures, quelles qu’elles soient, n’ont que faire de considérations humanistes !
En 1943, il s’engage dans le 4e Tabor rattaché à la VIIe armée américaine et aurait même reçu la Silver Star du général Patton lors du débarquement en Sicile.
En 1953, en soignant les ouvriers des mines Aouli, il s’indigne de voir qu’on attribue à une prétendue tuberculose la mort d’ouvriers chez qui il avait diagnostiqué une silicose … qui ne sera reconnue que deux ans plus tard.
En 1955, fidèle au serment d’Hippocrate, dans son hôpital proche de la frontière algérienne, il soigne les combattants blessés appartenant au FLN (1), déclarant de faux diagnostics pour préserver le secret médical. Il sera dénoncé par des membres du personnel payés par les services de renseignements. Dans un Maroc devenu indépendant (2), il remplace des médecins incompétents préférant se dorer au soleil plutôt que s’investir dans leur travail, et placera les patients marocains sur le même pied que les européens. Après la guerre d’indépendance algérienne, il sauvera la vie de son beau-frère et de son épouse, farouches partisans de l’OAS (3), qui risquaient tous deux d’être exécutés (4).
Pas de viol du secret ? Pas de chocolat !
Cet esprit libre et engagé a été condamné par les services secrets de son propre pays car il respectait l’esprit du serment d’Hippocrate. Les dictatures, quelles qu’elles soient, n’ont que faire de considérations humanistes ! Mais il est choquant de voir que le secret de ces affaires continue à déranger au 21e siècle. Le secret médical a pour but non seulement de garantir le meilleur soin au malade en lui assurant la confidentialité mais aussi la sécurité des soignants. Bien sûr, on ne peut pas assimiler les situations du passé, ou celles qui existent aujourd’hui dans les pays totalitaires, avec celles que nous connaissons ici et maintenant, mais on se doit de considérer avec attention certaines dérives.
Dans une grande enquête de la Commission Précarité (5), plus de la moitié des médecins estiment que le secret n’est pas toujours, voire pas du tout respecté. Cela se traduit souvent par des formes insidieuses de chantage pour pouvoir bénéficier d’une aide : « le médecin doit indiquer la maladie dont vous souffrez pour avoir droit à l’aide ». Les généralistes reçoivent des réponses consternantes quand ils protestent contre cette immixtion dans l’intimité, pourtant protégée par l’article 458 du code pénal. Ainsi, dans un home du CPAS, une gestionnaire s’est permise, à l’insu du médecin, de photocopier des parties du dossier médical pour mettre en cause la probité d’infirmières qui travaillaient dans cette institution.
Contrôlés, les dérapages ?
Plus insidieuses sont les applications de l’e-santé qui, en principe, ne dérogent pas au droit de la confidentialité mais qui, en pratique, présentent des dérives potentielles que les responsables ne peuvent pas toujours mesurer. Il n’est pas acceptable de tolérer ces dérapages plus ou moins contrôlés sous le prétexte d’une bonne foi un peu trop systématique. Le GBO/Cartel défend l’utilisation des données médicales dans une utilisation prioritaire de continuité des soins, et de manière dérivée pour des fins de recherche, avec une nette préférence pour des recherches dont l’objectif est clairement défini à l’avance. Les autres utilisations, que ce soit à des fins judiciaires ou commerciales, n’ont pas de place dans un pays démocratique.
Le GBO/Cartel revendique donc le maintien de hubs gérés par la profession mais soutenus par des fonds publics.
Dr Lawrence Cuvelier
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(1) Front de Libération Nationale, combattant indépendantiste algérien.
(2) Le 2 mars 1956, après la signature à Paris de la déclaration commune annulant le traité de protectorat de 1912, le Maroc accède à l’indépendance.
(3) Organisation de l’Armée Secrète. Celle-ci s’oppose à l’indépendance de l’Algérie par des moyens militaires.
(4) D’après une enquête publiée dans le journal le Monde du 13 mai 2022.
(5) Ancienne commission CPAS de la FAMGB, le Cercle des médecins généralistes bruxellois.