LE SALAIRE DE LA PEUR

Dr Lawrence Cuvelier

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Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier, Vice-PrĂ©sident du GBO/Cartel, publiĂ© le 23/12/2022.

En tant que médecins, nous portons la responsabilité de chacun de nos actes. Pour nous prémunir de toute erreur médicale et circonscrire le doute, devons-nous pour autant céder à la tentation de noyer le patient sous des examens souvent inutiles ?

C’était un médicament banal, un médicament comme on en prescrit tous les jours. Ce n’était pas un patient banal, c’était une personnalité connue. L’effet secondaire aussi n’était pas banal, c’était une complication ultra-rare de la prise de ce médicament. Quand la personnalité pas banale a été hospitalisée pour la complication pas banale de ce médicament banal que je lui avais prescrit, je ne me suis pas terré, j’ai alerté le confrère hospitalier sur la possibilité que la complication pouvait être imputée à ce médicament que j’avais prescrit. Déjà la presse était sur le coup mais ni le patient ni les hospitaliers n’ont divulgué la cause de l’hospitalisation. À sa sortie, le patient m’a contacté pour me rassurer, je n’avais rien à craindre. Ouf ! 

Tout le monde n’a pas eu ma chance et il arrive que des consœurs et confrères doivent répondre de fautes parfois réelles, parfois imaginaires ou même d’accidents sans faute comme il peut en survenir à l’occasion de n’importe quelle décision médicale, fût-elle anodine. Notre responsabilité peut être questionnée à tout moment, même pour une prescription rédigée sans le moindre paiement sur le coin d’une table pour répondre à une sollicitation inopportune.

Si certains prestataires, paralysés par le risque d’erreur ou encouragés par la rentabilité des examens s’abandonnent à ces pratiques absurdes, on ne s’étonnera pas que pour des projets innovants, il ne reste plus beaucoup d’argent.

(R)assurez-moi

Heureusement, le recours à des procédures judiciaires est rare en Belgique et les primes d’assurance pour les généralistes sont modestes, sans commune mesure avec celles payées sous d’autres cieux, aux USA par exemple. Il est évident que si les recours contre les médecins augmentaient, les conséquences seraient funestes : le prix des soins augmenterait et les prestataires ne s’aventureraient pas à prendre des risques même très raisonnables. Il n’en reste pas moins que tout au long de notre carrière nous sommes exposés à l’éventualité de recours qui peuvent laisser bien de l’amertume au soignant comme au soigné. Ce sont les risques du métier.

Erreurs, Échecs et… mat ?

Il faut se rendre à l’évidence : faire comprendre à quelqu’un qui ne travaille pas dans le secteur des soins que l’erreur ou l’aléa est un élément qui fait partie des soins de santé relève d’une mission impossible. Bien sûr on peut essayer de se prémunir contre l’erreur en réalisant tous les examens possibles et imaginables : c’est un non-sens car c’est faire courir des risques supplémentaires au patient et appauvrir inutilement la sécurité sociale. Pourtant, les autorités n’assument absolument pas cette contradiction : on nous demande de pratiquer une médecine « sobre » tout en ne prenant que peu de mesures pour nous prémunir d’accidents ou d’erreurs. Dès lors, le médecin est partagé entre deux options, soit appliquer une médecine optimale, soit ne pas prendre le risque de passer à côté de quelque chose, comme ce médecin d’une clinique universitaire qui prescrivait des scanners cérébraux à toutes les patientes anorexiques pour exclure une tumeur thalamique. Bien sûr l’exception existe mais elle est … exceptionnelle. La poursuite de cet éléphant blanc justifie-t-elle des examens de routines parfaitement inutiles ?

Parfois, au contraire, une intuition nous fait dévier de la routine et nous pousse à poser un acte diagnostic improbable qui s’avère payant. Pratiquer la médecine en suivant aveuglément les guidelines est sans doute dangereux, mais faire des examens de manière systématique est tout aussi aberrant (sauf pour les caisses de l’institution). La demande du public joue aussi un rôle non négligeable dans l’inflation des examens. Il est depuis longtemps convaincu que c’est la machine qui pose le diagnostic et, pire encore, qu’elle exclut un diagnostic péjoratif. De là viennent les demandes de check-up et de prises de sang, joyeusement dénommées “la totale” pour exclure toute maladie grave. Si certains prestataires, paralysés par le risque d’erreur ou encouragés par la rentabilité des examens s’abandonnent à ces pratiques absurdes, on ne s’étonnera pas que pour des projets innovants, il ne reste plus beaucoup d’argent.

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Dr Lawrence Cuvelier