Le plus beau métier du monde

Dr Lawrence Cuvelier.
Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier, président du GBO/Cartel, publié le 25/09/2024.
Les billets repris dans la rubrique « Grains à moudre » témoignent des opinions personnelles de leur auteur (et n’engagent que lui), sans nécessairement refléter la position du GBO/Cartel.

… mais même le plus beau métier du monde change … 

« Vous faites le plus beau métier du monde ! ». Voilà une proclamation sans ambiguïté, bien que parfois contaminée d’un brin de condescendance perfide, à la manière des compliments ampoulés du mâle dominant qui renvoie à ses ‘devoirs’ une femme qui regimbe contre son statut. « Tu as le plus beau des rôles, tu donnes la vie ». Et en sous-texte : « C’est donc la moindre des choses que tu te farcisses la vaisselle, la lessive, l’éducation des enfants et n’oublie pas de te maquiller, tu ne vas tout de même pas te laisser aller… »

C’est que la condescendance est une caractéristique universelle des relations humaines. Un exemple au hasard : la gentillesse commerciale des hôpitaux dont nous sommes les fournisseurs de patients. Et en sous-texte : « Bien sur nous ouvrons des structures en silo où, sans vous, nous prenons en charge des problèmes porteurs comme l’obésité ou la ménopause, mais cela ne veut pas dire que nous n’avons plus besoin de vous … pour nous approvisionner. »

Ça passe ou ça casse

Nombre de jeunes généralistes, au parcours parfois brillant, s’écrasent, cassés et déprimés, parce que, durant leurs études, on leur a vendu du vent en les gavant de connaissances qu’ils ne pourront employer. Certains surmonteront leur déprime en devenant cyniques et âpres au gain. Mais d’autres balayeront les savoirs pour eux inutiles et réinventeront leur métier.

« La médecine générale repose à la fois et de manière indissociable sur le scientifique et sur le relationnel. »

Si j’aime ce métier, c’est d’abord parce qu’il est utile, indispensable même (quoi qu’en pensent certains). Mais il ne s’agit pas de l’utilité ponctuelle propre aux soins spécialisés : l’utilité du généraliste s’inscrit dans la durée et dans l’appréhension de l’humain dans toute sa complexité. La richesse et la force de notre métier, c’est la rencontre du patient. Bien sûr, les motifs de consultation les plus fréquents en médecine générale paraissent d’une effroyable banalité : des infections respiratoires, des lombalgies, des affections gastro-intestinales qui la plupart du temps ne nécessitent pas de traitement spécifique. Alors, oui, en début de carrière, on peut caler devant cette apparente banalité et la surcharge de contraintes administratives et autres certifications. La beauté de la médecine générale se développe pas à pas, elle ne ressemble en rien aux prestations en services d’urgences ou en polyclinique où le rapport reste anonyme. Quand, par la qualité de la relation, on parvient à remettre sur pied un dépressif, à soutenir un patient chronique ou à aider un cancéreux à faire le meilleur choix, alors oui, on se sent bien dans sa profession. Mais accepter ce métier, c’est accepter ses propres limites et celle de la médecine. Pour certains, faire le deuil du sentiment de toute-puissance qui auréole le métier sera ingérable. D’autres, confondant l’empathie (capacité à s’identifier) avec la sympathie (συν παθείν, souffrir avec) oublieront qu’à trop donner, on se brûle les ailes (ou son combustible … le terme burn-out vient de l’astronautique et désigne le moment où l’étage de la fusée a consommé tout son carburant).

Éloge de la flexibilité

La médecine spécialisée est la rencontre d’une pathologie. La médecine générale aussi mais, en outre et avant tout, c’est la rencontre avec un patient, je dirais même une personne. Tout le monde n’est pas fait pour cette rencontre et le malheur est qu’on ne sélectionne pas les carabins sur cette base mais plutôt sur l’aptitude à répéter les étapes de la glycolyse ou le diagnostic différentiel de pathologies plus ou moins rares.

La médecine générale repose à la fois et de manière indissociable sur le scientifique et sur le relationnel. Certains patients apprécieront un médecin directif et assertif, d’autres rechercheront un contact basé sur le dialogue et l’explication. Notre diversité est une richesse, tous les généralistes ne doivent pas être à la fois super-compétents en allergologie, en gynéco et en suivi d’addiction, en revanche tous doivent être flexibles et s’adapter sans relâche à la relation et à l’environnement.

Le syndicat, comme le généraliste, ne peut pas tout résoudre, mais il est à l’écoute des problèmes rencontrés par celles et ceux qui commencent leur carrière, il œuvre à mettre en place des solutions pour faciliter l’exercice de la profession et éviter les abandons précoces. Cela aussi est un travail qui s’inscrit dans la durée et donc évolue car le temps est révolu des médecins appelables à tout moment et en tout lieu. Hé oui, même le plus beau métier du monde évolue avec son époque …