Le MG parfait n’existe pas

Dr Lawrence Cuvelier

Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier, vice-prĂ©sident du GBO
publié le 17/09/2021

Il n’y a pas de généralistes capables d’endosser, en tout lieu et à toute heure, ce costume de surhomme infaillible que la société veut leur prêter. Les autorités en sont-elles conscientes, elles qui ne se privent pas d’étriller la moindre défaillance de la profession ? Et si, au lieu de fustiger, on cherchait les mécanismes qui empêchent d’être ou de rester au top ? Qui sapent la motivation ?

L’évolution de la médecine durant le siècle écoulé a transformé le praticien. Jadis, il ne pouvait qu’apporter du réconfort ou, sporadiquement, assurer des sauvetages spectaculaires comme des trachéotomies en rase campagne pour sauver un patient de la complication de la diphtérie, le croup. Mais progressivement, l’art de guérir s’est plié aux études cliniques, soumis à la rigueur scientifique. Les prétentieux esculapes qui traitaient Pasteur de chimiatre et qui admettaient que 95% des opérations sur les ovaires se terminaient par un décès par septicémie ont perdu du terrain, à la faveur d’un changement de paradigme. Les études cliniques, les pratiques EBM, ont fini par devenir les outils de référence. Un diplôme de médecin a cessé d’être un permis de chasse.

 La population et la société attendent des MG qu’ils soient des médecins parfaits, sans peur et sans reproche.

Contraintes plurielles

Pourtant, pour les médecins qui ont pris à cœur de défendre leurs consœurs et confrères durant de longues soirées d’hiver passées à négocier avec les autorités sanitaires, il s’agit de donner une représentation de l’omnipraticien qui est plus mythique que réelle. Car la réalité quotidienne, elle, savonne la planche des aspirants à la perfection.

  • Le mĂ©decin, qu’il pratique en solo ou en Ă©quipe, travaille dans un lieu dĂ©fini, qui possède ses propres caractĂ©ristiques sociales et environnementales. Les paramètres sociaux, Ă©conomiques et culturels sont des contraintes auquel le MG doit s’adapter. Comment concrĂ©tiser une dĂ©marche de promotion sociale en exerçant dans un quartier dĂ©favorisĂ© ?
  • Quel que soit le type de pratique, la mĂ©decine s’inscrit fondamentalement dans un contexte libĂ©ral, que le modèle retenu soit l’acte – système dans lequel la contrainte sera d’en produire – ou le forfait – modèle oĂą la stratĂ©gie consistera Ă  garder un nombre suffisant d’inscrits pour que ce soit rentable (et, si possible, pas trop coĂ»teux).
  • Ce cadre de travail implique que le praticien doit afficher une attitude sĂ©duisante vis-Ă -vis de sa patientèle, Ă  la fois pour prĂ©server ses revenus mais aussi pour pouvoir nouer une relation de confiance avec son patient, sous peine de voir ce dernier ne suivre que fort mal son traitement.
  • C’est au gĂ©nĂ©raliste et Ă  son Ă©quipe de se doter des Ă©quipements et des moyens nĂ©cessaires pour mener Ă  bien leur travail. Actuellement, ce sont essentiellement les contraintes de temps qui rendent la mission du mĂ©decin très compliquĂ©e.
  • Il n’empĂŞche que, dans notre pays, la variĂ©tĂ© de l’offre mĂ©dicale permet tant au soignĂ© qu’au soignant de trouver des rĂ©ponses les mieux adaptĂ©es en fonction de leurs tempĂ©raments respectifs.
  • Le volume des compĂ©tences mĂ©dicales qu’un mĂ©decin gĂ©nĂ©raliste est sensĂ© possĂ©der frise celui du catalogue des 3 Suisses : il faut ĂŞtre Ă  mĂŞme de poser un stĂ©rilet ou un implant, de faire un plâtre, de mener Ă  bien une dĂ©sensibilisation allergique, d’assumer des actes de petite chirurgie… Il y a peu de MG qui ont autant de cordes Ă  leur arc, mais la plupart se sont adaptĂ©s aux caractĂ©ristiques de leur (environnement de) pratique. Ils peuvent Ă©ventuellement rĂ©ajuster cette dernière si le contexte mĂ©dical dans lequel ils Ă©voluent vient Ă  changer.
  • Le mĂ©decin s’inscrit Ă©galement dans un contexte sociĂ©tal dans lequel son autoritĂ© est performative, c’est-Ă -dire que par sa parole ou sa signature, il doit arbitrer des situations individuelles aux consĂ©quences qui n’ont rien d’anecdotiques – sur le travail, le maintien Ă  domicile, la privation de libertĂ© dans le cadre d’une mise en observation, etc.
  • Il doit aussi tenir compte au jour le jour des impĂ©ratifs de santĂ© publique. Ainsi doit-il s’abstenir de prescrire des antibiotiques pour n’importe quelle affection, attitude qui, sans menacer le malade, pourrait mettre en danger l’ensemble de la population. Dans de nombreuses circonstances, le MG doit se positionner Ă©galement dans un contexte de sĂ©curitĂ© sanitaire.
  • On attend de lui qu’il assure la continuitĂ© des soins, qui relève d’une exigence d’ordre professionnel (« je veille sur la santĂ© de mes patients ») mais qui tient aussi de la bonne gestion des besoins de santĂ© de la population.
  • Enfin, le gĂ©nĂ©raliste doit se plier Ă  une quantitĂ© croissante de formalitĂ©s administratives, revĂŞtant surtout Ă  ce jour la forme de manĹ“uvres Ă©lectroniques, comme par exemple le devoir de complĂ©ter correctement les sumehrs, les demandes d’autorisation pour les mĂ©dicaments de chapitre IV… et j’en passe.
  • Enfin, un MG est tenu de s’intĂ©grer dans une zone, un village ou un quartier. Ce qui le force Ă  ĂŞtre, que cela lui plaise ou non, en perpĂ©tuelle reprĂ©sentation. En effet, en dehors de son cabinet, il est rĂ©gulièrement sollicitĂ© pour donner de multiples avis, quand bien mĂŞme le sujet abordĂ© ne relève pas de sa compĂ©tence. Et il lui faut ĂŞtre constamment sur ses gardes pour Ă©viter qu’une simple conversation ne tourne Ă  la consultation sauvage.
Fustiger, la méthode centrifuge

Au GBO, nous sommes pertinemment conscients que très peu de généralistes sont capables, en toute circonstance et en tout lieu, d’endosser ce costume de surhomme infaillible. Et pourtant, la population et la société attendent de nous que nous soyons ces médecins parfaits, sans peur et sans reproche.

Dès lors, c’est une constante : le GBO est couramment interpellé par diverses autorités qui demandent des comptes, en lui fourrant sous le nez tous les manquements de la profession. Plutôt que de se lamenter sur les « faiblesses » de nos pairs, ne serait-il pas plus productif d’explorer quels sont les mécanismes générateurs de ces défaillances ?

Tous, nous savons d’expérience qu’il est plus facile de postposer un examen technique de même que la prescription d’un antibiotique quand on n’est pas à la veille d’un week-end. Quant à tenir un dossier impeccable, ce n’est pas une mince affaire quand nous sommes submergés de travail.

Les médecins qui ont perdu toute motivation du bien-faire et qui officient mécaniquement ne sont pas si rares. N’est-ce pas là l’une des conséquences d’un mauvais climat, d’une formation bâclée, d’un isolement professionnel, d’un burn-out qui s’est invité insidieusement ? Le GBO se préoccupe aussi de ces problématiques, bien entendu. Mais les autorités doivent être conscientes que, si rien n’est fait de leur côté, les déserts médicaux risquent bien de devenir la règle.

 

Dr Lawrence Cuvelier