
La vie des MG n’est pas un conte de fées, et pourtant…
Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier, vice-président du GBO
publié le 19/11/2021
Quand on se représente le métier de généraliste, comme étudiant et même comme citoyen, il y a beaucoup de clichés et… peu de réalité. Et on ne pense sûrement pas aux parallélismes pouvant se dessiner entre les situations psycho-médico-sociales tendues que rencontrent les MG et les scénarios de certains contes de fées, imaginés pour affronter les peurs et émotions. La réalité des souffrances auxquelles s’attaque le médecin peut dépasser les fictions.
Les généralistes sont perçus soit comme des maitres de la vie et de la mort, soit comme d’obscurs gratte-papier, larbins des spécialistes et de l’administration. Les jeunes assistants sont friands d’actes techniques et de diagnostics exceptionnels. Cela affûte leurs connaissances et compétences face aux pathologies aigües. Bien plus long et difficile est l’apprentissage de la relation avec les patients vulnérables, ceux que leur condition sociale a affaiblis comme ceux que la vieillesse et la maladie a fragilisés. Nous n’avons pas moins d’une vie professionnelle pour apprendre. Et donc, le remake du happy end « il se marièrent et eurent beaucoup d’enfants » – en l’occurrence : « il obtint son diplôme et se sentit invulnérable » – n’est vraiment qu’une fiction.
Pourtant, quand on repense aux contes de fées, on ne peut s’empêcher, comme Bruno Bettelheim, de faire le rapprochement entre ce que nous vivons et la façon dont ces récits imaginaires déconstruisent nos peurs. Toutes les situations les plus effroyables relatées dans les contes de fées, nous passons notre vie à les rencontrer. Quelques exemples :
« Le petit poucet » raconte l’histoire de la misère et de l’abandon d’enfant. Comment ne pas songer à deux de mes patients élevés par la DASS en France et qui ont été tous deux des SDF ? Ou à cette autre personne, que j’ai soignée pour alcoolisme et dépendance au jeu, qui redoute d’aller dans un home, de peur que cela lui rappelle la vie dans les orphelinats de son enfance. L’image de l’ogre évoque la maltraitance dont la jeunesse de ces gens fut émaillée.
« Le petit chaperon rouge » se réfère sans ambiguïté à la peur de la sexualité et d’un prédateur sexuel qui, par un discours plaisant, parvient à amadouer une petite fille en rentrant dans son jeu – « on fait la course pour aller chez mère-grand… ». Je pense à ce patient, embobiné par le responsable d’un grand domaine, qui a subi son joug durant l’adolescence. Trente ans après les faits, il a pour la première fois partagé avec moi ce qui constitue l’explication de tous ses déboires – perte de confiance en lui, besoin de fuite perpétuel, longue errance avec des chiens pour seuls confidents… Il aura fallu des années de mise en confiance pour que les digues de sa pudeur finissent par céder… La seule à qui il ait répété les racines de ses traumatismes est son accompagnatrice sociale. Jamais il n’a voulu se confier au psychiatre quand il a été hospitalisé. Cela démontre aussi l’importance de la pluridisciplinarité, celle de ne pas travailler en silos, de ne pas croire que seul un spécialiste va résoudre tous les problèmes. Les psychologues de première ligne revendiquent de ne plus travailler en collaboration avec les généralistes dans l’extension de leur financement. Quel dommage…
« Peau d’âne » évoque l’inceste en mettant en scène un père qui est aussi le souverain de son royaume, sacrifiant l’âne qui fournit la richesse de son pays pour pouvoir épouser sa fille, laquelle s’enfuit avec la peau du baudet sur le dos pour dissimuler sa beauté et accepte de travailler comme souillon dans une ferme reculée. D’après mon expérience de médecin, il est rare que ce genre de personne puisse rencontrer le prince charmant. Combien d’entre elles ne voit-on pas se réfugier dans la boulimie ou l’anorexie pour ne pas affronter l’innommable ? Cela me ramène à ce patient que j’ai envoyé chez la psychologue et qui n’arrivait pas à se confier… Chaque fois qu’il s’y rendait, son visage était inondé de larmes. Cependant, le fait de finir par en parler l’a fait progressivement évoluer et lui a permis de trouver un peu de sérénité. Lors des inondations, il s’est porté volontaire pour aider les sinistrés.
« Les habits neufs de l’empereur » décrit avec énormément de justesse les illusions et les fake news. Dans ce fabuleux récit, des aigrefins s’introduisent dans le palais de l’empereur et parviennent à convaincre ce dernier qu’ils vont lui façonner un habit magique que seuls les gens intelligents pourront voir. Les sots et les incapables, eux, ne verront rien. Les imposteurs réclament des assortissements coûteux pour tailler le costume, mais quand le ministre des Armées, le Premier ministre et ensuite l’empereur viennent visiter l’atelier, ils voient des ouvriers s’affairer devant des métiers à tisser qui semblent vides. Personne n’ose faire observer cette bizarrerie, de peur de révéler sa propre incompétence. Quand vient le jour de fête en prévision de laquelle le fameux vêtement a été promis, les escrocs, toujours persuasifs, s’extasient devant une étoffe qui n’existe pas. L’empereur sillonne la ville, et personne ne bronche parmi les badauds, chacun se sentant trop circonspect pour avouer qu’il ne voit qu’un homme nu. Ce n’est que quand des enfants s’exclament, sans avoir honte de passer pour idiots, que l’empereur se promène nu comme un ver, que la population se rend compte de la supercherie. Inutile de dire que, maintenant, les bonimenteurs ont élu domicile sur les réseaux sociaux. Un célèbre avocat parisien prétend accorder sa protection juridique à tous ceux qui désobéiraient aux mesures anti-covid pour la modique somme de 10€. Avec 37.000 abonnés, il n’aura pas perdu son temps…
Dr Lawrence Cuvelier