LA SEULE CHOSE CERTAINE, C’EST L’INCERTITUDE
(vieux proverbe médical)

Dr Lawrence Cuvelier

.

Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier, Vice-Président du GBO/Cartel, publié le 02/12/2022.

Symptômes : abandon de la profession, fuite dans des pratiques fumeuses, croyances délétères et fake news. Etiologie : incertitudes et carences de la formation médicale au plan humain.

Pour tout être vivant, le besoin de sécurité est primordial. Pas de chance, la profession de médecin est pleine d’incertitudes et de doutes, une réalité que nos études sont loin d’anticiper. Nos professeurs, trop contents de nous enseigner les triomphes de la médecine ou les beautés des maladies auto-immunitaires, ne nous apprennent rien de la gestion de l’incertitude, de la confrontation à l’échec thérapeutiques, de la patience dans la recherche diagnostique et de l’empathie vis-à vis des patients. Ces manques suffisent à expliquer le désarroi des jeunes confrères confrontés au réel de la profession et les attitudes/postures qu’ils sont contraints d’adopter, bon gré, mal gré, pour y faire face.

Ce qui me gêne, c’est de devoir défendre une médecine humaine face à un monde de machines et de standards.

Il n’y a pas d’âge pour mourir

Le jeune médecin, devant ses difficultés à affronter la souffrance et l’échec, peut refuser de voir la complexité des situations et chercher refuge dans des positions simplistes, dogmatiques ou populistes. Il peut aussi s’orienter vers des disciplines médicales qui l’exposent moins à la détresse psychologique, que ce soit en tant que spécialiste ou généraliste. Certains spécialistes, confrontés lors de leur formation à des expériences douloureuses ou à des traumatismes psychiques répétés tels que des horaires démentiels avec une maltraitance organisée, finissent par choisir une hyperspécialisation où des actes soigneusement calibrés leur permettent de rencontrer un nombre très réduit d’échecs. D’autres s’orientent vers des spécialités où ils ne devront jamais rencontrer le patient. Je me rappelle avec effroi le commentaire glaçant d’un anatomopathologiste avec qui j’examinais la coupe d’un de mes patients atteints d’un Hodgkin grade 4b : “c’est jeune pour mourir”.

Sorties de secours

Il n’y a évidemment aucun mal à s’orienter vers ce type de spécialité. Ce qui me gêne, c’est le poids de la production d’actes techniques coûteux dans les hôpitaux et systèmes de soins, un poids infiniment plus décisif que celui des psychiatres et des pédiatres (ne parlons pas de celui des généralistes …). Ce qui me gêne, c’est de devoir défendre une médecine humaine face à un monde de machines et de standards. S’il n’est pas si rare qu’un généraliste abandonne la profession après quelques année de pratique, c’est parfois à cause du poids de la pratique sur la vie familiale ou d’un burn-out, mais c’est toujours aussi à cause de la charge mentale liée à l’incertitude, à l’échec thérapeutique et à l’incapacité à entrer en empathie avec les patients, une incapacité souvent valorisée lors du cursus ! Certains préféreront des fonctions administratives ou des rôles de soutien comme dans les centres de planning ou de prise en charge des assuétudes. D’autres choisiront des options de « soins sans échecs » (radiologie, anapath., etc) qui, au contraire de la science médicale, obéissent à des principes immuables (peu importe s’il s’agit de théories élaborées il y a 2000 ans) et offrent des certitudes qui manquent tellement dans la médecine moderne.

Dans le paysage de la santé, un autre domaine qui attire les fervents de la certitude est la politique de santé. La plupart d’entre nous savent qu’il s’agit d’un domaine complexe où interagissent de multiples variables, mais certains conçoivent ce champ comme un terrain de chasse idéal pour satisfaire leur ego. Au lieu de considérer l’infinité de nuances de gris, ils se confortent dans des positions tranchées, noir ou blanc, sans nuances, nourries d’exemples particuliers qu’ils généralisent à la manière des zélateurs de théories médicales farfelues qu’ils érigent en vérité universelle.

Bien sûr, il existe des pratiques qui sont de véritables escroqueries, qu’elles soient à l’acte ou au forfait, il existe des généralistes qui font des erreurs diagnostiques qu’un spécialiste sauve miraculeusement, il existe des examens de routine qui permettent de découvrir fortuitement une maladie grave. Ces exemples minoritaires sont détournés pour justifier ceux qui veulent pratiquer une médecine sauvage, sans contraintes et sans contrôles. Pourtant, il est démontré que les check-up sont inefficaces et dangereux ou, comme pour le dosage du PSA dans le dépistage du cancer de la prostate, cause plus de dommage que de bénéfice.

Fake News

Le GBO/Cartel essaie de prendre des positions soigneusement équilibrées, rigoureuses et sans parasitage émotionnel. Malgré cela notre syndicat est la cible d’attaques délirantes car fondées sur des raccourcis surprenants et visant des positions qu’il n’a pas prises. Ainsi, au contraire de ce que déversent des rumeurs lamentables, nous n’avons jamais eu l’intention ni de privilégier ni de supprimer la pratique solo ou la pratique en maison médicale. Nous avons parmi nos dirigeants un ratio équilibré de médecins pratiquant en groupe, en solo, ou en maison médicale et notre objectif est que chacun puisse s’y trouver confortable pour éviter le désarroi et l’abandon de la profession devant une charge qui devient de plus en plus insupportable.

.

Dr Lawrence Cuvelier