
LA SANTÉ PAR LES PILULES
Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier, vice-président du GBO, publié le 02/09/2022
Le monde serait tellement plus simple s’il suffisait d’avaler une pilule pour rester jeune, beau, intelligent et en bonne santé. Voilà une vérité rassurante et lucrative …
La santé à tout prix ou à n’importe quel prix ?
Les Américains (58% d’entre eux) dépensent chaque année plus de 55 milliards de dollars pour des compléments alimentaires, censés prévenir ou traiter différentes affections, les infections virales, les pertes de mémoires, les affections cardiaques et, plus récemment, la COVID-19. Le cadre réglementaire pour la mise en vente de ces produits, au nombre de plusieurs dizaines de milliers, est beaucoup moins clair que celui qui régit les médicaments en vente libre. C’est ainsi qu’on peut acheter des suppléments en potassium au double de la dose indiquée sur le conditionnement ou des suppléments en berbérine sans berbérine. Bien qu’il existe aux USA des lois sur les affirmations de santé, un peu d’imagination marketing suffit pour les contourner. Alors que des études bien menées [1] ont démontré que le ginkgo biloba n’a aucun effet pour la prévention de la démence, l’étiquette mentionne qu’il soutient une mémoire saine. On estime que ces pratiques sont responsables chaque année de 23.000 visites dans les services d’urgence et de 2.000 hospitalisations.
Au moment où nous assistons à l’officialisation de la téléconsultation, je pense que la rencontre en vrai d’une personne peut éviter aux patients de dériver vers des comportements aberrants pour guérir ou maintenir leur santé, et garder une grande prudence vis-à-vis des compléments alimentaires.
Comme au supermarché … nous aussi !
Je ne connais pas d’étude aussi bien faites concernant la Belgique ou l’Europe. On peut imaginer que les contrôles de qualité sont plus performants, mais nous sommes quand même confrontés à un marché malsain, concernant entre autres les probiotiques. Si des études très prometteuses sont réalisées concernant des microbiotes pour lutter contre l’obésité et le diabète, il s’agit de produits à délivrer dans des conditions strictes de conservation qui n’ont rien à voir avec les produits vendus en pharmacie ou en parapharmacie. Comment considérer ces pratiques coûteuses qui n’ont la plupart du temps aucune base rationnelle ? On peut tout au plus espérer un effet placebo. En général, les affirmations concernant les vertus de ce type de produit sont invérifiables et, si on démontre que le produit n’a pas d’effet, les marchands se tournent vers des affirmations vagues. L’épidémie de COVID-19 nous a fait mesurer combien le monde parallèle de « l’alter vérité » avait de succès chez une catégorie de personne. Mais je reste quand même rêveur quand j’entends que les pâtes à base de cacao se voient interdire toutes mentions de chocolat si elles ne contiennent pas un minimum de cacao, même sur d’excellents produits comme certaines pâtes à tartiner. Par contre, n’importe quel produit peut s’affirmer « détox ». Peut-être que l’Académie de médecine de Trifouillis-les-Oies pourra enseigner au médecin ignare que je suis ce que recouvre cette affirmation et sur quel cytochrome agit le détox ? Les autorités sanitaires devraient faire preuve de plus de prudence et de cohérence dans les messages qu’elles délivrent.
Au XVIIe siècle, alors que dans d’autres pays d’Europe s’ébauchait une médecine basée sur l’expérience et l’observation et non plus sur une vérité dogmatique héritée de l’antiquité, Molière se moquait des médecins français qui revêtaient leur ignorance d’un costume noir et de mots latins, avec comme seul remède la purgation ou la saignée, et qui faisaient payer cher aux patients riches leur peur de la mort. Le temps a coulé et pourtant la crédulité en matière de santé a encore un grand avenir, sans que nous puissions y faire grand-chose.
Ne serait-il pas judicieux de faire une mise en garde sur tout complément alimentaire, pour préciser qu’il ne s’agit pas d’un médicament et qu’il n’est pas destiné à guérir de maladie … ?
Le bien-être s’achète-t-il ?
Pourtant il est possible de se faire du bien sans avoir des prétentions médicales exorbitantes. On peut trouver son bonheur en allant au marché, en cédant au boniment d’un marchand de pèle-patate, en se rendant chez le coiffeur ou dans un spa. Notre rencontre avec l’humanité peut aussi se trouver en allant à la poste ou à la banque, parler d’argent ne se fait pas uniquement chez le psychanalyste. Malheureusement, nous avons souffert de la déshumanisation due à la crise COVID, et nous assistons à une épidémie nouvelle, celle des services à distance que l’on peut parfois assimiler à des sévices distanciels. Au moment où nous assistons à l’officialisation de la téléconsultation, je pense que la rencontre en vrai d’une personne peut éviter aux patients de dériver vers des comportements aberrants pour guérir ou maintenir leur santé, et garder une grande prudence vis-à-vis des compléments alimentaires.
Dr Lawrence Cuvelier
[1] D’après Pieter Cohen et coll Perspective d’institutionnaliser la désinformation, la loi 2022 sur la liste des compléments alimentaire NEJM July 7,2022 387 3-5