LA MALADIE, UNE PUNITION DE DIEU ?

Dr Lawrence Cuvelier

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Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier, Vice-PrĂ©sident du GBO/Cartel, publiĂ© le 20/01/2023.

Pour une approche nuancée de la maladie, entre châtiment divin et malédiction des facteurs de risque …

Qui est coupable ? Quand le malheur arrive, que la maladie surgit, quoi de plus naturel que d’en chercher la cause. On peut incriminer la responsabilité individuelle, conception très à la mode dans nos systèmes de pensée. On peut se révolter. On peut se rabattre sur une certaine culture de la faute que l’on attribuera à notre héritage religieux, la faute entraînant une sanction, une “punition divine”. La maladie est alors vécue comme un châtiment. On pourrait croire que ce récit mythique, paradigmatique, a disparu de nos sociétés largement sécularisées, mais pas du tout : il persiste et s’est simplement déplacé vers d’autres formes de discours aux allures scientifiques ou teintés d’idéaux de pureté.

La simple empathie médicale devrait permettre d’éviter ces dérives qui ne sont souvent que des réactions d’angoisse face à l’inexorable.

Vous prendrez bien un peu d’immortalité ?

Quand on proclame qu’un tiers des cancers sont évitables car provoqués par des facteurs environnementaux, on balance une vérité dure à entendre pour les deux autres tiers des patients qui n’ont commis aucun “péché”. J’accepte mal cette affirmation car si certains risques sont évidents, d’autres sont difficilement évitables. Le tabac et l’alcool sont des comportements notoirement nuisibles, les autres facteurs sont plus modestes. J’ai connu un guide de montagne, sportif accompli, atteint d’un ostéosarcome incurable. Sa réaction à l’annonce de la maladie était de dire « et pourtant je suis sportif » !
Mon propos n’est pas de remettre en cause les principes de vie saine. Comme mĂ©decin, nous le voyons bien, celles et ceux qui accumulent les facteurs de risques classiques subissent un vieillissement prĂ©maturĂ©. Mais n’oublions pas que le stress et la pauvretĂ© interviennent aussi de façon majeure dans la fragilitĂ© prĂ©coce. Mon propos est plutĂ´t de mettre en Ă©vidence le rĂ©cit subliminal qui sous-tend nos discours et qui est en fait une promesse intenable : vous pouvez Ă©viter la maladie et la mort. MĂŞme sans Ă©voquer le transhumanisme façon Elon Musk qui vise la vie Ă©ternelle, il y a dans ce discours une injonction Ă  agir contre la maladie, qui cherche Ă  dissoudre l’angoisse de notre finitude : si vous agissez, vous ne serez pas malade… Cela laisse perplexe les mĂ©decins qui savent combien la maladie est injuste, nous avons tous entendu l’histoire de ce garde forestier non-fumeur emportĂ© par un cancer du poumon.

Discours rationnel de prévention et promesses d’avenir radieux

Bien entendu, il existe une infinité de types de discours, qui vont de la prévention basique de bon aloi à des affirmations holistiques de prise en charge globale rejetant la médecine scientifique. Et même en se cantonnant au domaine de la médecine classique, on rencontre des affirmations de niveaux très différents. Ainsi, des recommandations positives comme celles du conseil supérieur de la santé sur l’alimentation (féculent complet, fruits secs, légumineuses, légumes et fruits et restriction du sel), sont infiniment moins culpabilisantes que certains discours sur le dépistage du cancer. L’exemple du dépistage du cancer du sein est parlant : ce n’est pas la place ici d’en faire le débat mais plutôt de rappeler combien il doit faire l’objet d’une approche nuancée, ce qui est rarement le cas, car on n’en présente généralement que le bénéfice, qui est réel, mais rarement les inconvénients. Une approche nuancée qui est évidemment totalement absente du comportements des marchands de compléments survitaminés et de leur habileté à propager des croyances lucratives, ou de celui de certaines « religions » qui promettent à des populations vulnérables la guérison de maladies graves comme le SIDA.

La religion est-elle coupable de ce comportement ? On ne peut nier que certaines traditions chrétiennes ont exploité le concept de péché sur tous les registres mais, d’un autre côté, la Bible ne manque pas de textes qui dénoncent cette exploitation (1).

Éthique de l’équité

La simple empathie médicale devrait permettre d’éviter ces dérives, qui ne sont souvent que des réactions d’angoisse face à l’inexorable. Le combat du GBO est une lutte pour l’équité dans les soins de santé mais c’est aussi un combat contre les préjugés. Le malheur, la misère et la maladie ne sont pas des tares morales ou des « châtiments » et il n’est pas juste que seuls les plus favorisés, par leurs bonnes fortunes, s’attribuent des vertus qui leur donnent un droit à la bonne santé. La différence de délai entre l’accès aux soins “privés” et publics n’est qu’un des aspects de ce problème éthique.

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Dr Lawrence Cuvelier


(1) Le texte de Job, accablé de malheurs et de maladies, montre combien sont dans l’erreur ces amis qui prétendent que ses malheurs résultent des fautes qu’il a commises. Dans le nouveau testament, la colère de Jésus éclate quand des pharisiens veulent accuser les victimes d’un accident (l’effondrement de la tour de Siloé).