LA CRISE, UNE OPPORTUNITÉ POUR LA MÉDECINE GÉNÉRALE ?

Dr Lawrence Cuvelier

Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier, vice-président du GBO,
publié le 04/02/2022

En dépit de la progression du nombre de membres et d’adhérents GBO/Cartel ces dernières années, on observe un repli de l’intérêt pour la défense professionnelle, parallèle à l’érosion de la confiance envers les institutions en général. Ne serait-ce pas (également) dû, entre forces vives, à des méthodes de débat trop impulsives pour être sereines et constructives ?

Traditionnellement, les travées politiques sont davantage arpentées par des juristes et des économistes que par des représentants du monde de la santé. Hormis par les émissaires des deux grandes mutuelles, socialiste et chrétienne, les allées du pouvoir sont souvent désertées par les soignants et ignorées par les politiques. Quand ce qui parait aller de soi devient un enjeu crucial, nous nous apercevons de ce que nous avons perdu. Il y a peu de gens qui se réveillent le matin remplis de bonheur à l’idée de se sentir en bonne santé. Mais quelqu’un qui recouvre la forme après une longue maladie reconsidère avec joie les priorités de la vie.

Mouvement tectonique de confiance minée

La syndémie liée au Covid a révélé un malaise qui existe depuis longtemps : le désamour de la population envers les institutions. Les citoyens dénoncent le manque de cohérence, de sincérité et d’efficacité. Ils deviennent soit indifférents, soit aimantés par des partis anti-système, non pas parce qu’ils sont persuadés que ceux-ci soient réellement efficaces, mais par rejet des systèmes traditionnels.

Les médecins n’échappent pas à ce mouvement tectonique de moindre attrait, de confiance rongée. Même si notre syndicat a pu échapper en partie à ce reflux et que le nombre de cotisants au GBO/Cartel n’a cessé de progresser ces dernières années (notre organisation a remporté 62% des votes en francophonie), il s’avère que le nombre total de votants aux élections syndicales a globalement chuté* même si c’est surtout dans les rangs des médecins spécialistes que cela s’est surtout marqué.

Pourtant, le fait que parfois des mesures passent en force nous désignent comme les responsables de choses que l’on trouvait imbuvables, comme par exemple les honoraires de la télémédecine dont le GBO/Cartel a été le seul à dénoncer, en médico-mut, l’impraticabilité. La phrase que nos membres les plus actifs entendent régulièrement tinter à leurs oreilles – « les syndicats ne font rien ! » – est évidemment hautement blessante et complètement fausse. Mais cet état d’esprit percole dans la population médicale, en quête de sens et de cohérence.

Si nous engageons dans un jeu de concurrence entre les forces qui composent la première ligne, nous avons toutes les chances que d’autres intervenants en profitent pour imposer leur propre agenda, comme des soins ambulatoires orchestrés à partir de l’hôpital.

Le temps de mûrir les idées

Dans la façon de fonctionner au GBO/Cartel, nous avons l’habitude de nous concerter, de confronter nos idées pour aboutir à un consensus. Parfois, cela met du temps, mais cela permet à chacun des membres actifs du GBO/Cartel au sein de ses organes décisionnels de s’exprimer clairement et d’être mandaté partout où l’on sollicite notre avis, sans devoir référer.

Ce modus operandi est évidemment tout à fait aux antipodes de paroles pulsionnelles, enflammées, basées sur l’émotion. Cette façon d’appréhender le monde, de vouloir tout, tout de suite, sans nuances, a fait le bonheur des fanatiques du clavier. Ce genre de réactions a provoqué aussi des milliers de morts par désinformation dans la crise Covid. Le stress empêche de réfléchir de manière posée. Il favorise les positions clivantes et extrêmes.

Je reprends ici les termes de Béatrice Delvaux dans son éditorial du Soir du 24 janvier 2022 : « L’élaboration de cette approche commune et en profondeur est bien plus urgente pour les démocrates, et notamment pour les partis, que de se positionner pour emporter des victoires électorales qui pourraient se révéler vite dérisoires car inopérantes ».

Hélas imperméable à la globalité du patient

Nous avons un combat à mener à longue échéance, celui de placer la médecine générale dans un contexte efficient, placé au cœur des dispositifs de santé, en cheville avec les autres acteurs de la première ligne et ceux des autres lignes de soins. La crise a permis d’ouvrir des perspectives pour une meilleure politique de santé, en particulier pour les soins primaires. Si toutes les forces vives qui en tissent la trame peuvent établir des revendications consensuelles fortes, celles-ci ont des chances d’aboutir. En revanche, si nous engageons dans un jeu de concurrence entre les forces qui la composent, nous avons toutes les chances que d’autres intervenants en profitent pour imposer leur propre agenda, comme par exemple l’organisation de soins ambulatoires orchestrés à partir de l’hôpital en fonction de pathologies chroniques. Cette approche en silo est souvent imperméable à la globalité du patient. On soigne une glycémie ou une décompensation cardiaque sans se préoccuper de la motricité ou l’inverse et en oubliant de soigner avant tout un patient.

Les cercles de généralistes organisent des réunions scientifiques avec les spécialistes hospitaliers de leur région. Ce rapprochement aiguillonne la collaboration et la confiance réciproque, et peut s’avérer parfaitement complémentaire avec des formations organisées par les universités ou encore la SSMG.

En outre, les cercles ont un rôle précieux à endosser en bonne intelligence avec les autorités loco-régionales, comme l’ont montré les initiatives autour de la pandémie. Cela doit se faire en concertation avec les syndicats.

Dans le respect d’une vision

Les syndicats peuvent offrir au médecin des options différentes dans sa vision de la société. C’est pourquoi leur légitimité s’appuie sur un vote. À partir du moment où le débat est serein, où les arguments sont honnêtes, la polémique – ou disons idéalement le débat respectueux sans canardage émotionnel à boulets rouges peut tous nous faire avancer.

L’inverse décrédibilise tous les acteurs qui consacrent leurs soirées et leurs week-ends à améliorer le sort des généralistes et la performance des soins de santé.

Dr Lawrence Cuvelier

* Le taux de participation des MG FR aux élections syndicales avoisine les 50%.