Juteuses vérités

Dr Lawrence Cuvelier.
Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier, Vice-président du GBO/Cartel,
publié le 21/06/2024

Risque d’embouteillage sur la route qui va de l’austère « état actuel des connaissances » au monde des vérités lucratives.

Il y a quelques jours, une patiente au revenu modeste m’a demandé de lui prescrire un complément alimentaire à base de plantes. Elle m’expliqua que ce produit vendu en pharmacie avait des vertus protectrices pour le foie et surtout la fameuse vertu « détox », une vertu qui échappe totalement aux médecins qui, dans leur ignorance, croient naïvement que les pathologies du foie ont des causes telles que virus, alcool ou stéatose, et font ainsi fi du concept millénaire de maladie de foie. Un concept qui connut son apogée dans la France du XIXe siècle et survit encore sous la forme de « crises de foie », faisant la richesse de nombreuses stations thermales qui administrent des douches sur la région hépatique. 

Le marché du corps et de l’âme se porte bien dans notre société anxiogène.

De l’autre côté du miroir

Nous vivons dans un monde où abondent pratiques et substances aux vertus thérapeutiques indémontrables. Ce serait tellement confortable qu’un extrait de plante, héritier de la potion magique de Panoramix, puisse nous purifier des millions de produits chimiques qui nous envahissent. Mais trêve de mécréance, une posture scientifique assumée devrait nous contraindre à la modestie car, tant qu’une étude sérieuse ne l’a pas démontré, nous ne pouvons pas affirmer que ces produits n’ont aucun effet ! Comme cette étude coûterait des sommes considérables que personne n’a envie de budgéter, il ne nous reste qu’à proclamer notre ignorance face à ces « marchands d’Orvietan ». On ne peut cependant rester insensible aux dépenses consenties par les personnes en quête de “bonne santé”, que ce soit de petites gens comme ma patiente ou des personnes fortunées. Mais comment faire entendre le langage de la raison quand les allégations pseudo-médicales pullulent dans tous les domaines, de l’alimentation aux pratiques spirituelles ? Le marché du corps et de l’âme se porte bien dans notre société anxiogène.

Plus navrant encore est d’observer de tels comportements commerciaux chez les professionnels eux-mêmes. Au syndicat, nous sommes parfois amenés à examiner des pratiques couvrant toute la gamme, qui va du simplement douteux au franchement scandaleux. Des traitements par hormones thyroïdiennes justifiés par le dosage de ces hormones dans les urines jusqu’aux diagnostics de maladies de Lyme par des techniques rigolotes, tout fait farine au moulin pour certains bonimenteurs diplômés qui, pour leurs honoraires, ne se contentent pas du bonheur temporaire des patient qui ont enfin un nom à coller sur leur mal-être. C’est souvent par un mécanisme insidieux que le médecin passe de l’autre côté du miroir, un mécanisme fait d’un mélange d’intolérance frustrée devant les lacunes du pouvoir médical, d’appât du gain, de non-conformisme nourri de l’envie de faire partie d’une élite élue, d’attentes d’une solution magique prête à l’emploi et de désir mystique d’une “vérité”. Une vérité qui refuse toute contestation, une vérité bien éloignée des critères de Popper pour qui il n’y a vérité scientifique que si les principes qui la constituent conduisent à une prédiction suffisamment précise pour pouvoir être testée par une expérience ou une mesure susceptible de la réfuter.

Quand le marché du corps et de l’âme est coté en Bourse

Quand la tromperie prend une dimension industrielle, plus rien ne justifie la moindre complaisance. « Marchands d’Orvietan », l’expression se réfère à un certain Cristofori Contugi qui se fit appeler l’Orvietan, du nom de la ville dont il était originaire, Orvieto. Voici ce qu’il fit : Ayant entrepris, en 1647, de faire approuver sa drogue par la Faculté (ndlr : de médecine de Paris), il réussit, moyennant espèces sonnantes trébuchantes, à obtenir la signature de douze docteurs. Mais cette ambition le perdit lorsque, voulant avoir jusqu’à l’attestation du doyen, Jean Piètre, il offrit audacieusement de la lui payer quatre cents écus en lui mettant sous les yeux les approbations qu’il avait déjà achetées. Jean Piètre, mauvais médecin, mais honnête homme, réunit toute la Faculté et les douze docteurs corrompus « furent chassés de la compagnie par un décret solennel. ».

C’était au 17e siècle. Cinq siècles plus tard, les pratiques douteuses ont toujours des intérêts financiers comme principal moteur. Pire, elles se multiplient comme l’Hydre de Lerne, quand on lui coupe une tête il en repousse trois. Les études tordues en tous sens jusqu’à ce qu’elles donnent les résultats espérés, le marketing sans scrupule, l’instrumentalisation des patients et de leurs associations, les moyens que déploient les puissances de l’industrie paraissent sans commune mesure avec ce que peut un syndicat, mais le pouvoir de dénoncer est le premier déclencheur de réactions salutaires et ce pouvoir, le syndicat l’exerce.