Janus en médecine

Dr Lawrence Cuvelier.
Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier, président du GBO/Cartel, publié le 01/07/2024.
Les billets repris dans la rubrique « Grains à moudre » témoignent des opinions personnelles de leur auteur (et n’engagent que lui), sans nécessairement refléter la position du GBO/Cartel.

Quand pratiques commerciales et fake news s’allient contre l‘intérêt du patient …

On n’avait plus assisté à un tel branle-bas de combat médiatique depuis l’apparition du Viagra (saviez-vous que vyaaghra signifie tigre en sanscrit ?) ou, pour les dinosaures à la mémoire encore vive, de la pilule contraceptive. Modernité oblige, voici la nouvelle star pharmacologique qui émoustille les réseaux sociaux, j’ai nommé Ozempic, de la tribu des GLP1, la nommée « pilule » qui fait maigrir … et qui n’est d’ailleurs disponible qu’en injection (à ce stade ?). Informations et commentaires à son sujet fusent en tous sens et ont déjà provoqué une victime sévèrement touchée : l’objectivité.

Un hold-up de poids

C’est que l’affaire ne manque pas d’intérêts, notamment financiers : cette classe de molécules se vendant à un prix prohibitif, on ne peut que lui trouver des pouvoirs magiques et des défauts, réels ou imaginaires. En Europe, ce médicament coûte aux environs de 100 € par mois, (1060 $ aux USA) et n’est actuellement remboursé que pour les diabétiques de type 2 ne répondant pas au traitement. Quant au prix de production de ce médicament, il serait d’un peu moins de 5 $ selon une enquête du Journal of American Medical Association (JAMA). Si, à ce hold-up, on ajoute que l’Ozempic est régulièrement en pénurie, ce qui rend aléatoire l’accessibilité du traitement, on peut comprendre que la plupart des professionnels ont une réaction indignée face à une gestion évoquant une action terroriste avec prise d’otages. 

Quand on sait que chez les personnes en surpoids, l’Ozempic diminue le risque de mortalité cardio-vasculaire, le risque d’insuffisance rénale et la survenue du diabète, on peut vraiment se dire que les patients et la santé publique sont pris en otage par la politique pharmaceutique.

Pourtant l’obésité constitue un véritable fléau avec des conséquences désastreuses sur la mortalité et la morbidité. En Belgique, 49 % de la population est en surpoids, et 16 % franchit la barre de l’obésité. Même constat au niveau mondial, surtout dans les pays émergents où les classes défavorisées, mais juste au-dessus du niveau le plus bas, sont les plus touchées (les classes en-dessous meurent de faim ou des trafics et violences liées à la faim). La prévention de l’obésité est assez complexe et le traitement non-médicamenteux souvent décevant, certains médicaments prometteurs ayant été retirés du marché pour effets secondaires délétères. 

Préjugés contre une maladie, préjugés contre les médicaments qui peuvent la soigner

Alors que l’obésité est une véritable maladie au même titre que l’alcoolisme, avec ses composantes génétiques, environnementales et psychologiques, les obèses sont souvent jugés sévèrement et frappés par une stigmatisation morale, y compris par certains médecins enfermés dans leurs préjugés. 

En résumé, l’Ozempic cumule les défauts : commercialisation scandaleuse, gestion déplorable de la disponibilité, usage actuellement détourné pour l’accompagnement d’un état que certains considèrent plus comme une tare que comme une maladie, il y a plein de raisons de considérer avec un a priori très défavorable ce type de médicament (qui présente en outre toutes les caractéristiques de l’ultra-libéralisme, mais ceci est une autre histoire). Rien d’étonnant dès lors à ce qu’une série d’arguments d’allure scientifique aient été avancés. À l’exception de quelques-uns, répertoriés dans les effets secondaires reconnus, ils ont tous été réfutés. Désolé pour les références, mais ici c’est indispensable :

  • Les GLP-1 provoqueraient le cancer du pancréas, affirmation qui m’a valu la perte d’un patient diabétique de façon très agressive => faux (1)
  • Les GLP-1 augmentent le risque de pancréatite => faux (2)
  • Les GLP-1 augmentent le risque de dépression=> faux (3), au contraire certaines études suggèrent qu’ils améliorent les items dépressifs 
  • Les GLP-1 augmentent le taux de cancer de la thyroïde => Faux (4)

Bien sûr, en médecine, des effets indésirables parfois sévères peuvent coïncider avec la prise d’un médicament, mais cela ne suffit pas pour constituer un lien causal. Rappelons-nous l’affaire du vaccin de l’hépatite B en France : après une campagne de vaccination massive, le vaccin fut accusé d’être responsable de l’apparition ou de l’aggravation de sclérose en plaques, lien qu’aucune étude ni méta-analyse n’a trouvé après un quart de siècles de suivi. A l’inverse, on peut découvrir des effets inattendus fort intéressants, comme ce médicament à visée cardio-vasculaire qui s’est avéré soigner les troubles de l’érection. Mais quoi qu’il en soit, il importe d’étudier les faits et de se garder de réactions émotives, qu’elles soient  positives ou négatives.

Quand on sait que chez les personnes en surpoids, l’Ozempic diminue le risque de mortalité cardio-vasculaire, le risque d’insuffisance rénale et la survenue du diabète, on peut vraiment se dire que les patients et la santé publique sont pris en otage par la politique pharmaceutique. Quand ce médicament sera vendu à des prix décents il sera recommandé dans une foule de situations. En attendant, l’image négative des firmes pharmaceutiques, et par contamination des soins de santé, ne risque pas de s’améliorer.

(1) Incretin-Based Drugs Don’t Confer Risk for Pancreatic Cancer – Paul S. Mueller, MD, MPH, FACP, reviewing Azoulay L et al. BMJ 2016 Feb 17. 

(2) Incretin-Based Diabetes Drugs Aren’t Associated with Excess Risk for Acute Pancreatitis Paul S. Mueller, MD, MPH, FACP, reviewing Li L et al. BMJ 2014 Apr 15 Faillie JL et al. BMJ 2014 Apr 24.

(3) Semaglutide Isn’t Associated with Elevated Risk for Suicidal Ideation – Paul S. Mueller, MD, MPH, FACP, reviewing Wang W et al. Nat Med 2024 Jan.

(4) GLP-1 Agonists Aren’t Associated Significantly with Thyroid Cancer Bruce Soloway, MD, reviewing Pasternak B et al. BMJ 2024 Apr 10.