
ITT prolongées : ne tirez pas sur l’ambulance !
Flash-info 61/24, publié le 26/08/24
D’après Medi-Sphère (1), les propositions les plus récentes de l’ex-formateur fédéral De Wever demandent que les médecins qui prescrivent systématiquement des arrêts prolongés pour maladie puissent être sanctionnés.
Certificat d’aptitude
“Une proposition du formateur Bart De Wever (ndlr : ex-formateur), soutenue par d’autres programmes électoraux, est l’introduction d’un certificat d’aptitude. Ce certificat inverserait la logique médicale traditionnelle : au lieu de mettre quelqu’un en arrêt complet pour maladie, le médecin devrait désormais indiquer ce que le travailleur malade peut encore faire”.
Le médecin généraliste doit décider si la personne qui le consulte est capable de travailler dans une période donnée en fonction de ce qu’il sait de son état de santé et des exigences de son travail. N’est-il pas plus compliqué de détailler tout ce qu’un patient peut faire si la seule restriction est, par exemple, de ne pas porter de poids lourds ? La proposition du formateur semble intéressante mais est-elle réalisable?
Projet de réintégration
“Le formateur propose aussi que les entreprises puissent lancer un projet de réintégration dès le premier jour de maladie.”
L’expérience de terrain montre que certains travailleurs sont demandeurs d’aménagement du travail, parfois même dès les premiers jours d’incapacité, mais que les employeurs ont des difficultés à organiser cet aménagement.
Nous pensons donc que c’est une idée à développer, en tenant compte de tous les écueils, organisationnels et administratifs : par exemple, actuellement, une incapacité totale de travail est imposée avant de pouvoir bénéficier d’un temps partiel.
Sanction des médecins
“Le formateur veut cibler les médecins eux-mêmes en identifiant ceux qui prescrivent des arrêts significativement plus longs ou plus fréquents. Ces médecins pourraient faire l’objet de réprimandes, voire de sanctions financières.”
Il est important d’établir un diagnostic précis de la problématique en jeu et de détecter les médecins qui volontairement abusent du système de protection sociale et sont à sanctionner, sans pour cela accabler toute la profession.
La profession médicale, quant à elle, peut s’engager à prendre ses responsabilités en étudiant la problématique des incapacités de travail dans ses formations initiales et continues.
Mais nous dénonçons, d’une part, la trop fréquente mise en doute de l’intégrité des médecins, qui déstabilise leur autorité morale et les rend vulnérables aux pressions de toutes parts, et, d’autre part, la menace de sanction pour ceux qui n’y résistent pas.
L’hebdomadaire “Knack” titrait : “De geneesheren zijn de gijzelaars (otages) van de patienten”. La polémique concernant ces certificats suspects de complaisance peut faire craindre que “Knack” soulève une problématique réelle : la difficulté dans la négociation au sein du colloque singulier de rester ferme, capable de résister aux pressions, quelles qu’elles soient, d’où qu’elles viennent. C’est ici que trouver un équilibre dans nos consultations entre interaction participative et fermeté directive, entre souci de l’individu et souci du collectif a toute sa pertinence.
Par ailleurs, les généralistes auraient pu compter, dans une collaboration triangulaire (“Trio”), sur l’aide des médecins conseils de mutuelle et des médecins du travail qui sont hors du biais relationnel du colloque singulier de médecine générale. Mais aujourd’hui ces deux professions sont aussi en pénurie et la régulation, que cette collaboration pourrait assurer, ne peut s’exercer de façon optimale.
Pourrons-nous enfin compter sur ce “Trio” dont nous attendons depuis longtemps la mise en place opérationnelle? Le défi est aussi de permettre au médecin traitant d’avoir une vue plus complète des conditions de travail du patient pour assurer une meilleure adéquation des certificats d’incapacité.
Jour de carence
“Proposition est faite aussi de réintroduire le “jour de carence” où le premier jour d’absence pour maladie n’est pas payé. Cette mesure fait écho à la décision du gouvernement Vivaldi qui avait permis aux employés de grandes entreprises d’être malades jusqu’à trois jours par an sans certificat médical, réduisant ainsi la charge administrative des médecins généralistes. Après un an, le nombre d’absences d’un jour avait augmenté de plus de 40 %, bien que les employés soient restés malades moins longtemps.”
Ici se révèle le danger d’une demande supplémentaire par une partie de la profession médicale de permettre aux travailleurs de pouvoir prendre les 3 premiers jours de maladie sans certificat médical. Ne court-on pas là le risque d’une augmentation de la carence à 3 jours et le risque médical de postposer un recours aux soins parfois nécessaires ?
Ne tirez pas sur l’ambulance !
La société délègue aux médecins la gestion des conséquences médicales des drames environnementaux, de la dégradation sociale suite aux guerres, immigrations, éclatement des familles… et suite aux choix économiques d’hyper-compétitivité et de dérégulation, engendrant stress, précarité, chômage, violence… et exige d’eux de gérer ces conséquences au moindre coût.
Un exemple : les transports de fast-food par des jeunes en mobylette, exploités sans réelle protection sociale : malbouffe et sédentarité pour les clients, dérégulation pour les transporteurs : un mélange explosif ! En conséquence : diabète, obésité, maladies cardiovasculaires, dépression…
Un autre exemple est celui du travail le dimanche, hors des professions de soins… qui s’est étendu à des professions commerciales qui n’en ont pas la nécessité première. Ce travail dominical nie les rythmes physiques, psychologiques et sociaux des travailleurs et leurs familles.
Bref, une société qui provoque un épuisement des humains et des ressources, pour lequel les politiques ne reconnaissent pas suffisamment leurs responsabilités.
L’effet pervers en conséquence des mesures mises sur la table des négociations ne sera-t-il pas le risque de “désengagement” des prestataires et des employeurs vis à vis des plus vulnérables ?
Par ailleurs, l’éducation à la santé des populations dans un partenariat patient/prestataire prend du temps. Ce temps est singulièrement malmené par la combinaison de la pénurie des prestataires et l’augmentation des besoins en soins de santé.
La crise actuelle, entre autres climatique, n’est-elle pas le moment-clé pour réfléchir de façon systémique à la problématique de l’explosion des incapacités de travail : détérioration des conditions de travail, aggravation des inégalités sociales, dégradation environnementale, … ?
Les médecins généralistes sont interpellés par la dégradation de l’état de santé de la population, étant à la croisée des chemins entre le curatif et le préventif, et refusent d’être pointés du doigt dans le soutien qu’ils apportent à toutes ses chevilles ouvrières, performantes et non performantes. Parce que la prospérité des régions, chère à nos femmes et hommes politiques, ne peut pas n’être qu’une prospérité économique mais doit aussi être une prospérité culturelle, mentale, physique, sociale, éducationnelle, affective, au service de tous.
(1) Sanction possible des médecins pour les arrêts maladie prolongés (Medi-Sphère, 17/08/24).