
INÉVITABLES, LES FAITS DIVERS TRAGIQUES ?
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Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier, Vice-Président du GBO/Cartel, publié le 18/11/2022
De l’exploitation des assistants au manque de communication et de coordination entre soignants, un jour ou l’autre les manques dans l’organisation des soins se paient cash.
Ils sont rares, les médecins qui s’étonnent du drame arrivé à Schaerbeek, où un patient présenté en psychiatrie sort tranquillement de l’hôpital et tue. Laissons de côté les problèmes de coordination entre la magistrature, les services de soins et la police, et tentons plutôt de porter la lumière sur quelques points structurels non liés directement à l’affaire…
Nous avons tous des récits de passages aux urgences qui ont mal fini. Il y a quelques années, une généraliste y avait envoyé un patient qu’elle considérait susceptible de faire un passage à l’acte. La jeune assistante qui l’accueillit estima qu’il n’y avait aucun danger et renvoya le patient qui, à peine sorti de l’hôpital, pénétra dans un appartement dont la fenêtre était ouverte et poignarda l’habitant qui, par miracle, s’en sortit. Il n’y eut aucune couverture médiatique. Ce type de drame arrive plusieurs fois au cours d’une carrière de généraliste ou de psychiatre. Bien sûr, il ne s’agit pas de stigmatiser les services d’urgences qui, de part certains dysfonctionnements dans l’organisation des soins, sont particulièrement exposés aux erreurs d’appréciations dans le domaine de la santé mentale comme dans tout autre domaine de la santé. La part du facteur humain dans ces erreurs est toujours difficile à évaluer. C’est pourquoi il est essentiel de s’interroger sur les facteurs structurels qui mènent à de tels échecs.
Des études ont suffisamment démontré que la fatigue des médecins provoquée par un excès de travail peut entraîner des erreurs catastrophiques. Faire évoluer l’organisation des soins pour que chacun puisse exercer sa profession dans les meilleures conditions reste un des objectifs majeurs du GBO/Cartel.
Tout s’explique, rien ne s’excuse
La difficulté de la prise en charge des troubles mentaux aux urgences s’explique par une combinaison de facteurs :
- les urgences et les gardes sont souvent assumées par des assistants en formation, manquant d’expérience et placés en situation fort inconfortable ;
- la plupart du temps, le médecin qui reçoit le patient n’a aucun recul par rapport au contexte dans lequel il le voit et il est rare qu’il ait l’occasion de contacter le médecin traitant
- les places en psychiatrie sont rares, particulièrement à Bruxelles. Trouver une place peut demander une journée de travail
- les centres de crises sont insuffisants et très mal rémunérés
- il n’y a aucune rétroaction par rapport aux décisions prises, le psychiatre de garde ne peut évaluer la qualité de sa décision car il n’y a pas de continuité dans le suivi du patient. De manière générale, il existe peu d’évaluation globale.
En gros, il n’y a ni boussole, ni GPS pour ces jeunes confrères.
Sur un plan plus général, la prévention est très mal organisée, malgré des moyens considérables. Les centres de santé mentale sont débordés, les autres dispositifs ambulatoires sont souvent amenés à se débattre dans des problèmes de survie de leurs institutions.
Mais il existe des difficultés encore plus fondamentales :
- nous continuons à déplorer l’absence de coordination structurée avec les services sociaux et les soignants de première ligne. Par exemple, alors que nous, généralistes, sommes les principaux agents prenant en charge les troubles de santé mentale, on nous met de côté en nous invitant (ou pas !) à des réunions de coordination qui se déroulent à un horaire impossible, par exemple à 9 heures du matin. Dans le même ordre d’idées, la réflexion sur le partage des données n’est pas menée de manière suffisamment multidisciplinaire et, à titre d’exemple, il est parfois difficile de recevoir certaines données de la part des psychologues, qui seraient pourtant bien utiles pour assurer la continuité des soins.
- pour une amélioration dynamique des dispositifs, leur évaluation doit se faire de façon structurée et objective. Pas seulement dans les mots …
Même les héros peuvent être fatigués
Si on élargit la perspective au-delà des cas d’urgence psychiatriques pour considérer plus généralement l’organisation des gardes et des urgences en médecine, il est à craindre qu’un jour, en Belgique ou en Europe, un accident suffisamment grave mette en cause les heures de prestations démentes des assistants en formation, et que les responsables de ces « obligations forcées » de prestations (qui vont parfois de 80 à 100 heures de travail par semaine) se trouvent inculpés pour homicides involontaires. Des études ont suffisamment démontré que la fatigue des médecins provoquée par un excès de travail peut entraîner des erreurs catastrophiques. C’est trop facile d’inculper la responsabilité individuelle face à une erreur médicale, comme si il y avait des super-héros d’un côté et des loosers de l’autre. Le futur d’une carrière peut être fracassé par une issue dramatique. Faire évoluer l’organisation des soins pour que chacun puisse exercer sa profession dans les meilleures conditions reste un des objectifs majeurs du GBO/Cartel.
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Dr Lawrence Cuvelier