IL Y A COMPLOT ET COMPLOTISME

Dr Lawrence Cuvelier

Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier, vice-prĂ©sident du GBO,
publié le 18/03/2022

Un écran de fumée. Une diversion. Des recherches qui noient le poisson… Les stratégies ne manquent pas pour occulter les desseins d’un groupe d’individus intéressés. Le complotisme procède d’une logique différente. On présuppose qu’une cabale mondiale ourdie par les plus puissants s’organise, dans un but ultime de nuisance absolue, pour dominer le monde. Toute organisation publique en devient suspecte si elle ne dénonce pas le complot.

On le sait depuis nombre d’années, des industriels se sont arrangés pour privilégier leurs intérêts plutôt que ceux de la société. Un exemple particulièrement éloquent est le secteur des cigarettiers qui, à partir des années 50, ont capté que le corps médical découvrait les méfaits du tabac et qu’ils allaient être mis en cause pour leur rôle délétère. Ils ont déployé une série de stratégies qui ont été largement efficaces pendant un demi-siècle. Parmi celles-ci, ils ont financé les universités pour qu’elles effectuent des études sur les autres toxiques des poumons. Ces travaux ont été utiles mais le poids du tabac est demeuré écrasant dans les pathologies cardio-pulmonaires. Il n’est pas rare pourtant, d’entendre affirmer par les fumeurs « que toute cette pollution est bien plus dangereuse« , une idée subtilement instillée par les cigarettiers.

Une pratique ancienne

Que des gens se réunissent pour favoriser leurs intérêts a toujours existé. Dans la Rome antique, les notables avaient leurs « clients » qui étaient leurs obligés moyennant les services qu’ils se rendaient réciproquement. Quant aux tavernes, elles étaient le repaire d’indicateurs bien utiles aux vigiles de l’époque. Actuellement, les lobbies se réunissent à visage découvert dans les travées des institutions européennes. Certaines dérives ont mis en cause l’industrie pharmaceutique, avec par exemple le Médiator®️ destiné à faire maigrir, ou les anti-inflammatoires Cox-2 qui avaient des effets toxiques sur le cœur, cachés par les firmes.

Les universités, les revues médicales, ont dénoncé certaines fraudes. L’une d’entre elles a porté sur le développement de l’autisme à la suite de la vaccination contre la rougeole. Son auteur avait falsifié les données pour satisfaire son ego, a été rayé de l’Ordre des médecins britanniques et a continué ses méfaits aux USA. Il est toujours un des propagateurs des théories anti-vax, et vit dans une somptueuse villa en Floride.

Justice, presse… ou les deux

Par nature, les complots sont d’abord là pour servir un intérêt particulier, un homme ou une institution. Par essence, ils se font non seulement contre une partie de la population mais habituellement contre des groupes concurrents. La découverte des complots dans le monde démocratique se fait soit par les autorités judiciaires, soit par la presse et bien souvent par les deux. Elle est établie sur des preuves solides et, actuellement, ce sont souvent des groupes de presse internationaux qui financent et produisent les enquêtes les plus spectaculaires. Bien entendu, il existe et existera toujours des complots grands ou petits qui passeront sous les radars. Mais la logique interne de ces complots est toujours de servir l’intérêt d’un individu ou d’un groupe d’individus. Même si leurs intentions sont pernicieuses, ces personnes n’ont pas « l’altruisme » d’une cause commune à servir le mal.

Il en va tout autrement du complotisme. On présuppose une cabale mondiale ourdie par les plus puissants, dans un but ultime de nuisance absolue, et dominant le monde. Ces scénarios redoutables rendent toute organisation publique suspecte si elle ne dénonce pas les (soi-disant) faits.

Impossible sans ĂŞtre idiot ou complice

Il en va tout autrement du complotisme, qui procède d’une logique différente. On présuppose qu’une cabale mondiale ourdie par les plus puissants organise, dans un but ultime de nuisance absolue, de dominer le monde. Ces scénarios redoutables rendent toute organisation publique suspecte si elle ne dénonce pas le complot. Comme la crise covid a suscité de terribles angoisses brassant plus de questions qu’elle n’a amené de réponses, les amateurs du « grand complot » se sont précipités pour en dénoncer un, magistral, digne des aventures de Blake et Mortimer.

Les corrélations justificatives

Comme médecins, si vous n’adhérez pas à cette théorie, c’est que vous êtes idiots ou complices. On recueille des preuves de corrélation entre deux événements et on en tire des conclusions dont il est très compliqué de se dépêtrer. Un exemple que le corps médical connait est celle de l’utilisation de l’Ivermectine comme traitement du SARS-CoV-2. Cela a débuté par une observation rigoureuse d’un médecin du Midwest qui a remarqué qu’aucun patient n’utilisant l’Ivermectine dans les maisons de repos n’était décédé du covid. Un deuxième faisceau d’arguments est venu d’une corrélation entre l’utilisation d’Ivermectine dans les régions tropicales d’Amérique du Sud et d’Asie et le taux d’utilisation d’Ivermectine. Ce produit est utilisé comme antiparasitaire mais, depuis lors, on a réalisé que le tropisme du virus est faible dans ces régions. Des recettes mêlant l’Ivermectine à des antibiotiques et diverses vitamines sont apparues. Le Dr Andrew Hill (*) a présenté une méta-analyse d’essai randomisé très convaincante. Après une série d’articles et de contrôles, on s’est rendu compte qu’il y avait des études soit faiblardes soit carrément frauduleuses. C’est l’auteur lui-même du premier article qui a souhaité que l’on retire celui-ci. Il existe des moyens de faire des corrélations avec tout. On a par exemple démontré que la production de fromage par habitant était fortement associée au nombre de personnes décédés en… s’emmêlant dans leurs draps.

Croyances ≠ science

Bien sûr, l’existence démontrée de complots par la presse ou la justice va servir de preuve à leurs yeux à l’existence « du grand complot » mais cela va rendre incohérent le fait que des scientifiques, journalistes ou magistrats révèlent des fraudes, et le fait que toute autorité soit forcément complice ou victime de ce grand complot. Avant la guerre 40, c’étaient les Juifs qui ont le plus souvent fait office de bouc émissaire. Actuellement, ce sont des personnalités médiatiques qui sont à la base des fantasmes les plus délirants.

Comme médecins, nous sommes souvent les témoins passifs de ce genre de délires. Notre seule arme est de rester patient, sans trop argumenter face à des croyances qui n’ont rien à voir avec la science.

Dr Lawrence Cuvelier

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(*) Ivermectin for COVID-19: Addressing Potential Bias and Medical Fraud (Andrew Hill, Manya Mirchandani, Victoria Pilkington).