FLEUR DE RHÉTORIQUE
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Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier, Vice-Président du GBO/Cartel, publié le 25/05/2023.
Une recommandation médicale peut-elle rendre heureux ?
Encourager les personnes à marcher 2 jours par semaine apporte pratiquement autant d’avantage au point de vue de la mortalité que de marcher 3 à 7 jours par semaine (1). Dans cette étude sérieuse, la différence était non significative.
Pourquoi cette étude m’a-t-elle fait tant plaisir, à moi généraliste ? La réponse est simple : nous sommes invités en permanence à prêcher des recommandations impossibles à tenir. Voyez ce patient qui se présente aux urgences avec des complications dues à son abus chronique d’alcool. Nous avons comme injonction thérapeutique de lui faire un sevrage d’éthanol. Sauf que le patient a perdu sa femme et son emploi du fait de sa consommation, qu’il a subi bien des choses dans son enfance, qu’il vit dans un logement insalubre, que … n’en jetez plus !
Nous savons que l’approche de ce type de situation ne peut être que multidisciplinaire et que, en l’occurrence, il s’agit trop souvent d’une mission impossible. Nous ne pouvons promettre à ce patient la rémission de toutes ses misères qui sont bien sûr le résultat de sa consommation mais aussi la source du maintien de son assuétude et parfois sa seule manière de « tenir bon malgré tout ». Voyez ce patient à bout de souffle, porteur d’une bronchopneumopathie obstructive et qui continue à fumer. Bien sûr, je vais tenter de lui faire arrêter la cigarette, mais que puis-je lui promettre, un ralentissement de la progression de la maladie ? Il est fort à parier que le désespoir de la situation entraîne un découragement du patient … et du médecin.
On a l’impression de revenir dans un monde où chacun doit présenter une personnalité idéale, sans faille et sans erreur, sous peine de se voir condamner par un tribunal (les pairs, internet, les réseaux sociaux) qui ne connaît pas de cour d’appel.
Alors, oui, pouvoir dire à un patient que marcher 10.000 pas deux fois par semaine sera déjà un minimum suffisant, ça me fait du bien dans ce déluge de recommandations dont nous sommes bombardés pour des motifs médicaux ou pour le bien de la planète. Notre univers est devenu anxiogène et culpabilisant, retenez votre respiration, vous émettez du CO² ! Le sucre, les graisses, les protéines animales, les déplacements, la consommation, tout est sujet à caution. Ô censeurs, baissez vos armes, Il n’est pas question ici de discuter du bien-fondé des mises en garde mais simplement de souligner que leur accumulation est délétère sur le plan psychique et en fait contre-productive. À amonceler ainsi interdictions et injonctions sans accommodements raisonnables, on se retrouve avec des personnes découragées qui deviennent réfractaires à tous types de conseils. Comme médecin, nous savons que les mesures hygiéno-diététiques préconisées lors d’une sortie d’hospitalisation sont une fleur de rhétorique dans la vie réelle. Par contre, travailler avec des diététiciens sur le même lieu de consultation apporte des résultats satisfaisants et réalistes.
La lune
Pour un médecin, suivre les recommandations EBM ou celle de la revue Prescrire peut s’avérer éprouvant, non pas que ce type de recommandations soit négligeable, mais elles divisent en deux la population des médecins : il y a ceux qui ne les suivent pas et il y a ceux qui croient les suivre. Dans l’antiquité, les disciples de Socrate se divisèrent en deux groupes. D’un côté, les platoniciens pensaient que nos sens ne nous permettent pas d’appréhender la réalité, que nous n’en voyons que l’ombre projetée sur le mur de la grotte où nous vivons enfermés, mais qu’il existe un monde des idées fait de vérité pure et indiscutable. De l’autre, les disciples d’Aristote étaient attachés au monde matériel, à une nature régie par des liens de causalité. On a l’impression de revenir dans un monde où chacun doit présenter une personnalité idéale, sans faille et sans erreur, sous peine de se voir condamner par un tribunal (les pairs, internet, les réseaux sociaux) qui ne connaît pas de cour d’appel. Cette ambiance délétère rend le médecin, et en particulier le généraliste, très vulnérable.
Comme il serait agréable de ne pas demander la lune à nos patients et que nous puissions être fiers de ce que nous réalisons avec nos petits moyens plutôt que de nous sentir sans cesse coupables… de ne pas promettre la lune !
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Dr Lawrence Cuvelier
1 Lower Mortality Was Associated with Walking Even 2 Days Weekly – Thomas L. Schwenk, MD, reviewing Inoue K et al. JAMA Netw Open 2023 Mar 28.