Deux nouveaux indicateurs pour la prescription des IPP en MG : objectifs compréhensibles, mais …
Flash-info 84/24, publié le 20/12/24
Vous avez dû recevoir cette semaine un courrier du Service d’évaluation et de contrôle médicaux (SECM) de l’INAMI pour vous sensibiliser au respect des 2 indicateurs visant à contrer les effets indésirables potentiels et réduire l’utilisation inutile (prolongée) des inhibiteurs de la pompe à protons (IPP)1.
Nous nous réjouissons de constater à la lecture de ce courrier du SECM que, grâce à notre intervention suite à l’envoi du courrier relatif au baromètre antibiotiques, ce n’est plus la sanction possible qui est mise en avant mais l’invitation à une réflexion sur sa pratique (cf. Flash-info du 04/07/24 : Indicateurs antibiotiques : le GBO restera vigilant à ce que la promotion de la qualité ne soit pas confondue avec la police de la route !).
Notez que, si l’intention est louable, le GBO/Cartel avait fermement désapprouvé en CNPQ le second indicateur (visant à mesurer la durée moyenne de traitement par IPP) qui vient d’être introduit, ainsi que le seuil de 90 DDD déterminé pour lui par le SECM. La raison de cette désapprobation du GBO/Cartel, malheureusement non suivie par les autres membres du CNPQ, se base sur des critiques d’ordre scientifique, pédagogique et sémantique qui vous seront détaillées plus bas.
Pourquoi introduire de nouveaux indicateurs pour la prescription d’IPP ?
Depuis de nombreuses années, les IPP font partie du top 25 des médicaments délivrés en ambulatoire qui coûtent le plus cher à l’assurance soins de santé. Leur utilisation a considérablement augmenté ces dernières années et il s’avère que les recherches ont montré qu’ils sont utilisés en grande partie en dehors des indications normales (administration de doses élevées injustifiées et prolongation de la durée des traitements).
Pour contrer les effets indésirables potentiels des IPP et un coût élevé associés à une utilisation inutile et prolongée de ceux-ci, il était donc indispensable pour l’INAMI d’œuvrer à plus d’appropriate care (les bons soins, au bon endroit et à un prix correct) et d’initier un comportement plus responsable en matière de prescription.
Face au peu d’effet des recommandations existantes, des actions s’imposaient (mais pas forcément celles préconisées ici)
Les recommandations en vue d’une prescription d’IPP rationnelle et responsable sont loin d’être une nouveauté. À l’époque, la Commission de remboursement des médicaments (CRM) de l’INAMI avait établi des recommandations relatives à l’utilisation des IPP. Pour évaluer le respect de ces recommandations, le Comité d’évaluation des pratiques médicales en matière de médicaments (CEM) avait ensuite élaboré des indicateurs (publiés au Moniteur belge le 05/11/12), sans toutefois les assortir d’une valeur seuil.
En 2019, les médecins généralistes avaient reçu un feedback individuel reprenant entre autres leur comportement en matière de prescription d’IPP. Cette invitation à la réflexion individuelle et à un débat mutuel entre confrères (incitation au peer-review) s’est donc révélée insuffisante à elle seule puisque le volume d’IPP prescrit n’a pas diminué substantiellement (en 2023, les médecins généralistes étaient responsables de 94,74 % des prescriptions et de 85,80 % des DDD d’IPP délivrés en officine).
Le SECM a donc déterminé des seuils de justification pour ces indicateurs de déviation manifeste des bonnes pratiques médicales (ce qui n’avait pas encore été réalisé jusqu’à présent). Ces deux nouveaux indicateurs remplacent donc les indicateurs du CEM mentionnés ci-dessus, et devront être pris en compte dès à présent par les MG lorsqu’ils prescrivent des IPP.
Lors de la délivrance d’une prescription pour le renouvellement d’IPP, il faudra donc maintenant toujours se demander si :
- le dosage ne peut pas être diminué
- ou si le traitement ne peut pas être interrompu.
… sous peine de se voir demander par le SECM de justifier une dépassement des seuils fixés pour ces 2 nouveaux indicateurs (cf. infra).
D’autres solutions auraient également pu être envisagées : intégrer dans les logiciels de prescription des rappels informatiques d’éducation pour la santé précisant les effets néfastes possibles des IPP pris en continu, faire apposer par le pharmacien une étiquette avec un message éducatif à destination du patient, lui précisant les effets néfastes possibles des IPP pris en continu, …
Quels sont les objectifs poursuivis par l’introduction d’indicateurs avec seuils de justification ?
Si ces indicateurs souhaitent mettre prioritairement l’accent sur l’amélioration de la santé publique (5AIM), il est clair que la réduction de l’utilisation inutile et prolongée des IPP aura un impact financier positif potentiel sur les dépenses annuelles de l’assurance soins de santé … et répond à la demande du Conseil général de l’INAMI de prendre des mesures concrètes pour maîtriser le volume de prescription des médicaments d’ici fin 2024.
Notez que, même si chaque indicateur peut avoir un impact budgétaire, l’INAMI affirme que leur objectif premier n’est en aucun cas économique (des économies seront réalisées dans certains cas et dans d’autres cas, des dépenses supplémentaires pour des soins plus adaptés seront nécessaires) et que, si des ressources venaient toutefois à être libérées, elles seraient investies dans les soins de santé.
Un objectif louable mais qui, en pratique, entraînera une surcharge de travail peu compatible avec la réalité du terrain
L’intention de l’INAMI est louable : plus d’appropriate care, amélioration de la santé publique (5AIM – ndlr : plutôt un triple but en réalité puisque patients et médecins n’en tireront aucune amélioration), diminution des dépenses annuelles de l’assurance soins de santé et des patients. Certes, les médecins généralistes prescrivent trop d’IPP, les chiffres parlent d’eux-mêmes. Mais les raisons de cette surprescription sont complexes : de trop nombreux patients ont une hygiène de vie déplorable (rendant l’utilisation des antiacides presque indispensable), l’efficacité des IPP est impressionnante mais l’effet rebond à l’arrêt l’est tout autant (rendant le sevrage compliqué et chronophage). Sans parler d’une médication à fortes doses initiées par certains gastro-entérologues, sans durée de traitement définie (rendant la diminution et/ou l’arrêt du traitement difficile par les MG : « Mais docteur, c’est mon gastro qui l’a dit ! »).
En pratique, l’introduction de ces indicateurs avec des seuils de justification se traduira forcément, dans le chef des MG déjà surchargés, par un surcroît de travail lié à la dé-prescription et, surtout, le sentiment d’un contrôle renforcé de leur pratique et d’une diminution de leur liberté thérapeutique (même si, sur le site de l’INAMI, il est bien stipulé que « La liberté thérapeutique du médecin reste intacte. »).
Quels sont les 2 indicateurs adopté par le CNPQ pour réduire l’utilisation inutile (prolongée) des IPP ?
Ces indicateurs sont d’application depuis le 16/12/2024 (date de leur publication au Moniteur Belge) et s’adressent uniquement aux médecins généralistes, médecins généralistes en formation et aux porteurs du diplômes de médecin (soit aux médecins prescripteurs avec les codes de compétence 000, 001, 002, 003, 004, 005, 006, 008 et 009).
- Indicateur visant à évaluer la prévalence des patients que le prescripteur traité par IPP.
Une prévalence élevée chez un prescripteur donné pourrait indiquer que l’indication a été déterminée de façon insuffisamment précise.
Le CNPQ a fixé à 25% maximum le pourcentage de patients avec une prescription pour un IPP par rapport au nombre total de patients avec au moins une prescription pour une spécialité pharmaceutique.
Patients IPP |
≤ 25 % |
- Indicateur visant à mesurer la durée moyenne de traitement par IPP.
Un score élevé pourrait indiquer la poursuite inutile du traitement par IPP. La surprescription d’IPP avec un dosage double augmente également cet indicateur.
Le CNPQ a fixé à 90 DDD maximum le nombre total de DDD d’IPP prescrits par rapport au nombre total de patients avec une prescription pour un IPP.
DDD IPP |
≤ 90 DDD |
Une « évaluation » des outliers et des mesures éventuelles sont prévues par le SECM
Dans les six mois suivant la publication des indicateurs au Moniteur belge (pas avant l’été 2025 donc), le SECM enverra un feedback individuel à chaque MG ayant prescrit un IPP à minimum 20 patients différents par année civile, au cours des 5 dernières années précédant la publication des indicateurs au Moniteur. Cela leur permettra de se situer par rapport aux indicateurs de bonne pratique et à leurs confrères, et si nécessaire d’ajuster leur comportement de prescription.
Le respect des indicateurs sera ensuite évalué annuellement, dès que les données d’une année civile complète, après la publication des indicateurs, seront disponibles. Chaque prescripteur recevra donc annuellement son feedback individuel. En cas de dépassement simultané et répété des deux valeurs seuils, le SECM pourra demander au prescripteur de se justifier.
Ces indicateurs, comme le terme l’indique, ne sont pas une norme absolue et, si le SECM le demande, il sera possible de se justifier individuellement en cas de dépassement des valeurs seuils. Les mesures éventuelles sont prévues à l’article 142 §1 de la loi SSI mais un écart par rapport à un indicateur n’entraîne donc pas automatiquement une mesure.
Le SECM pourra prendre d’éventuelles mesures vis-à-vis des ‘déviants’ à partir de juillet 2027
Comme l’indique le terme « indicateur », il ne s’agit pas d’une norme absolue. Il est bien entendu possible de se justifier individuellement en cas de dépassement des valeurs seuils. Les indicateurs permettent aux dispensateurs de soins de justifier leurs écarts éventuels, en tenant compte de leur situation spécifique et seulement si le SECM le leur demande. Ainsi, un écart par rapport à un indicateur n’entraîne pas automatiquement une mesure.
Cela signifie concrètement qu’une mesure éventuelle ne pourra être prise qu’une fois achevé le processus d’évaluation complet (à savoir au plus tôt à partir de juillet 2027) et après le temps nécessaire au processus de justification.
Des objectifs compréhensibles, MAIS …
Vous avez pu comprendre que le GBO/Cartel, s’il trouvait louable le but poursuivi par l’introduction de ces deux nouveaux indicateurs, émettait des réserves quant aux seuils qui y sont liés.
Le 2e indicateur (visant à mesurer la durée moyenne de traitement par IPP) qui vient d’être introduit, ainsi que le seuil de 90 DDD déterminé pour lui par le SECM, ont été fermement désapprouvés par le GBO/Cartel lors de la séance plénière du CNPQ. La raison de cette désapprobation, malheureusement non suivie par les autres membres du CNPQ, se base sur des critiques d’ordre tant scientifique, pédagogique que sémantique.
Selon le SECM, “un score élevé pourrait indiquer la poursuite inutile du traitement par IPP”. Pourtant, si l’on se base sur ce seuil de 90 DDD, 75 % des médecins seraient dans le rouge. Comment se fait-il que ce seuil soit si contradictoire avec la pratique “réelle” sur le terrain ? La raison est simple : le SECM a “oublié” que l’EBM repose sur un équilibre entre 3 composantes : l’évidence scientifique, le souhait des patients et l’expérience clinique du médecin. Or, ce seuil a été construit uniquement sur base de l’évidence scientifique, sans tenir compte du tout des autres composantes de l’EBM.
Sur le plan pédagogique, instaurer un seuil aussi éloigné des autres composantes de l’EBM risque de créer une médecine défensive plutôt que de faire changer la pratique des médecins (nous avions déjà souligné cette erreur lors de l’introduction des baromètre antibiotiques).
D’un point de vue scientifique, les pathologies qui induisent la prescription d’IPP, comme d’ailleurs bien décrites dans le rapport du CNPQ, ne sont pas des oesophagites ulcérées mais un reflux gastro-oesophagien symptomatique dont la prévalence a été insuffisamment analysée dans le rapport. Comme cela a été démontré pour les patients de plus de 70 ans, la prévalence de maladies de l’acidité est le double en milieu populaire par rapport aux milieux aisés. Les moyennes utilisées par le SECM dissimulent donc une dispersion extrême.
Le GBO/Cartel reste donc persuadé que ce 2e indicateur n’est pas approprié et sera attentif à l’évaluation du dispositif mis en place et continuera à essayer de convaincre l’ensemble du CNPQ de la pertinence des réserves émises quant à ce second indicateur.
Outils pratiques pour les MG et guider les patients dans la réduction progressive de leur consommation inutile d’IPP
e-learnings du CBIP :
- FoliaQuiz été 2023 : sécurité des IPP.
- Utilisation prolongée d’IPP (en cours de révision)
Farmaka (Centre indépendant d’information sur les médicaments) :
- Présentation : Usage prolongé d’IPP ?
- Fiche de synthèse : Repères concernant l’usage prolongé d’IPP ?
- Dépliant destiné aux patients : Arrêter les médicaments qui diminuent la sécrétion acide de l’estomac.
INAMI :
- « Maux d’estomac… Que faire ? » : dépliant et brochure destinés aux patients, en collaboration avec Test Achats.
- La série « Infospot » : publications sur les médicaments.
KCE :
L’étude PEPPER, actuellement menée chez des patients traités en médecine générale qui consomment des IPP de façon chronique en dehors des indications thérapeutiques établies, devrait à terme permettre au KCE de formuler des propositions concrètes afin de réduire progressivement et efficacement la surconsommation d’IPP.
Plus d’info :
1 Les IPP, médicaments souvent prescrits pour traiter les problèmes d’acidité gastrique trop importante, sont repris au « chapitre II » de la liste des spécialités pharmaceutiques remboursables : ils sont remboursables sans autorisation préalable du médecin-conseil, mais un contrôle a posteriori reste possible.