De l’anarchie organisée

Dr Lawrence Cuvelier.
Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier, Vice-président du GBO/Cartel,
publié le 31/05/2024

Collaboration mais pas anarchie : quand on ne sait plus à quels saints se vouer, le patient tourne en rond au sein de l’anarchie organisée actuelle.

Voilà des années que Julien est suivi par sa gastro-entérologue et son généraliste pour une maladie de Crohn. Ces derniers temps, une douleur de la fosse iliaque gauche insiste. La spécialiste préconise un scanner et invite Julien à passer par les urgences pour obtenir un rendez-vous dans les plus brefs délais. Il y va. Aux urgences, on lui refait une mise au point, inutile et d’ailleurs non demandée. Pas de syndrome inflammatoire dans la prise de sang, l’urgentiste décide de ne pas faire le scanner ! Et comme Julien a toujours mal, il retourne aux urgences quelques jours plus tard. Rebelote, pas de syndrome inflammatoire, pas de scanner. Crevant de mal, il lui reste la solution miracle : son MG. En unissant leurs efforts, la gastro et le MG obtiennent enfin ce scanner qui s’avère positif et impose un ajustement du traitement.

Une utilisation correcte des ressources éviterait des examens inutiles et l’asservissement des médecins à des tâches rentables mais pour lesquelles ils sont surqualifiés.

Moralités

– Les services d’urgences ne sont pas adéquats pour suivre des maladies chroniques.

– Il est plus que temps de s’organiser pour que l’accès dans un délai raisonnable à des soins non programmés et sans urgence vitale puisse être géré en dehors du passage par les urgences.

– Cet accès doit être ouvert autant à la demande du généraliste que du spécialiste.

– Pour éviter l’usage inapproprié des services d’urgence, il est impératif de changer le mode de financement de ces services mais aussi celui des hôpitaux qui les instrumentalisent pour la gestion de leur stress financier.

– L’emploi inapproprié de ces services génère d’une part insatisfaction et violence des patients excédés par des attentes excessives et d’autre part épuisement, démotivation et burn-out des urgentistes et de tout le personnel.

Qu’on ne convoque pas ici le mantra de la liberté thérapeutique tant chérie par certaines autorités, il s’agit ici non de liberté mais d’anarchie. Une utilisation correcte des ressources éviterait des examens inutiles et l’asservissement des médecins à des tâches rentables mais pour lesquelles ils sont surqualifiés. Par sa présence aux commissions d’agréments, le GBO peut témoigner combien ces situations participent à la souffrance de nombre d’assistants en hôpital.

Suggéré : Par ailleurs, en plaidant depuis toujours pour que le meilleur soin soit prodigué au meilleur endroit et par le prestataire le plus adéquat, le GBO a toujours plaidé pour une collaboration accrue, réfléchie, mesurée et efficace entre les lignes de soins. Pour que les spécialistes ne perdent plus leur temps à suivre des hypertensions banales ou des diabètes sans complications et soient enfin disponibles dans des délais raisonnables quand les généralistes sollicitent leur intervention pour des cas réellement compliqués. Collaboration mais pas anarchie : quand les pharmaciens font des vaccins et que l’encodage ne parvient pas au médecin, ne s’agit-il pas, ô le bel oxymore, d’une anarchie organisée ? Alors c’est bien de soutenir une aide à la pratique, ce serait certainement très utile mais sans concertation, elle risque de ne pas être utilisée, surtout du côté francophone du pays. Notre pays est caractérisé par la facilité d’accès aux soins mais dans un contexte où les délais raisonnables deviennent l’exception et sans une concertation intelligente, l’efficacité de notre système de soins risque bien de se retrouver sous peu …. aux urgences !